Êtes-vous un artiste premium ? 12


 

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Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui je vais vous parler de moi, de ma manière de travailler issue d’un cheminement atypique. De ma vision d’auteur que j’ai longtemps hésité à dévoiler ouvertement. Ecrire sur soi en sachant que le texte sera potentiellement lu par des milliers d’internautes met naturellement la pression et rend inconfortable l’idée d’être mal compris. Malgré tout, puisqu’il faut se dévoiler un peu, pour rendre l’ensemble de ce projet qu’est Le Souffle Créatif compréhensible, je n’ai d’autres choix que de préciser un peu plus ma vision des choses.

 

Une passion enivrante, incontrôlable qui dicte chacun de mes gestes 

 

Une journée comme une autre, je prends un ensemble de feuilles que je pose délicatement sur une table. Je ne regarde pas la dimension, ni la charge de travail qui m’attend. Je ne pense à rien, ni à l’art ou la manière dont je vais positionner mes formes, mes ombres et mes lumières. Je laisse ma main aller à ma passion et libérer une volonté pour ne pas dire une énergie qui m’ordonne d’exécuter sans penser aux conséquences. Je m’exécute, enchaine les hachures, les traits et, au fur et à mesure de mon acharnement, une scène prend forme. L’univers est végétal, la séquence fortement référencée. Des images se sont assemblées pour former cet ensemble que je présente comme une esquisse. Je prends de la distance, corrige un élément puis deux et comprends qu’il me faut aller plus loin mais avec une autre approche.

 

Je prends un nouvel ensemble de feuilles, change de médium et attrape quelques feutres avec lesquels je commence à installer une atmosphère. Le travail est long, usant et ingrat. Je couvre inlassablement de larges surfaces de couleurs sans réfléchir. Mon cerveau a visualisé une image que ma main s’essaye à illustrer méthodiquement. Le temps passe mais n’existe plus. Les bruits ont disparu, couverts par une musique en boucle dont seuls les accords résonnent dans ma tête. La scène se construit, je prends à nouveau du recul et me voilà devant une composition équivalente à mon esquisse avec la couleur et une énergie différente en plus.

 

Je sais pourquoi je réalise cette image mais je ne sais pas où elle finira. Je ne focalise jamais sur une future vente, un futur événement ou sur les conséquences de mon travail. Je m’évertue à faire ce pour quoi je suis fait, je produis avec l’insouciance de l’artiste qui cherche avant tout à s’exprimer. Mes mots sont des vagues de traits et de couleurs, mon discours s’étend désormais sur une planche à dessin. Il fait deux mètres de long sur soixante cinq centimètres de haut. C’est beau, c’est moche, c’est juste, c’est mal, c’est bien, je pourrais mieux faire. Ce sont les mêmes pensées qui m’assaillent à la fin de ma tache. Je ne me satisfais jamais de ce qu’un ensemble de muscles et deux décennies de pratique ont mis en place. Etre heureux du résultat serait une erreur, se convaincre de se pousser à mieux faire est la seule solution viable pour moi.

 

Une évolution lente mais nécessaire 

 

Créer les meilleures conditions pour s’appliquer à réaliser une oeuvre quelle qu’elle soit ne s’improvise pas comme un salarié qui se mettrait à la tache de 8h à 17h. Certains artistes, les meilleurs surement, sont capables de démarrer à l’heure et de s’arrêter à temps pour délivrer un travail qui leur semblera acceptable. En ce qui me concerne, j’ai ce double point de vue qui me donne peu de latitude pour être à l’aise avec ma production. J’ai besoin de chercher en permanence, à l’image d’un chercheur, la bonne couleur, le bon rendu, la bonne mise en scène. Dans le même temps, j’ai le point de vue du Designer qui me dit de travailler en se chronométrant et de ne pas accorder plus de temps qu’il n’en faut à un dessin pour avoir un rythme qui obéirait à un code précis.

 

Cela fait un moment que vous lisez ce texte et vous ne voyez toujours pas le rapport entre mes propos et ce titre énigmatique. Et pourtant, ce dont je vous parle c’est d’une forme de mutation. Comment, après des années de travail et d’inspiration avec des thèmes précis, on en vient à en changer et à faire évoluer son discours, et son écriture plastique. J’étais convaincu pendant mon adolescence jusqu’à l’âge adulte que je dessinerais des voitures, des bateaux et tout ce qui permet de se mouvoir. Puis, l’âge adulte a amené d’autres passions, d’autres réflexions et surtout d’autres rêves. Si poser devant une voiture de sport a quitté depuis des années ma wishlist, je reste passionné d’automobile. La différence c’est qu’aujourd’hui je m’interroge sur son implication dans la société ou comment utiliser un véhicule pour sauver des populations. La passion demeure, les ambitions évoluent. J’ai compris avec le temps que la vie amène des épreuves qui viennent à nous forger une vision différente de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être.

 

On parle beaucoup d’alignement, de valeurs et de tout autre notion où l’accomplissement de soi est au centre de nos préoccupations. Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler d’une attitude que l’on pourrait qualifier de « premium ». N’y voyez pas la volonté d’introduire une nouvelle formulation digne d’un cabinet de consultants. Je vous parle d’une attitude où votre esprit, vos désirs, vos actes, votre expérience et vos lectures s’additionnent et interagissent. Dans la vie d’un artiste, cela prend la forme visible d’une oeuvre, mais dans son quotidien cela prend la forme d’une attitude où la cohérence n’est plus un mot mais une réalité.

 

Mon atelier est autant composé de livres que de fournitures artistiques. Ce n’est pas une manière de me positionner comme un intellectuel étalant ses ouvrages (il y a beaucoup d’illustrations), mais une façon de vous indiquer que je me nourris autant d’images que de textes. Qu’ils proviennent d’une BD, d’un livre d’architecture ou d’un essai sur la futurologie… des textes viennent à s’accumuler dans votre esprit de manière différente en fonction de votre expérience. Parfois, les mêmes textes résonnent différemment que vous les lisiez à 20 ans puis à 30 et ainsi de suite. Un jour, vous venez à changer vos lectures, vous les analysez, vous en tirez des mots et vous y réfléchissez encore et encore. Et sans vous en apercevoir, vos dessins changent. Les traits sont là, l’identité est là aussi mais quelque chose d’impalpable a changé. Si vous avez déjà rencontré cet état de fait, rien de nouveau pour vous. Ce n’est qu’une évolution naturelle de votre identité artistique, me direz-vous. Je m’attache à croire qu’il s’agit d’autre chose. A l’image d’une symbiose entre ce que vous aspirez devenir et ce que vous avez déjà accompli jusqu’ici.

 

J’évoquais cette attitude comme « premium » précédemment car j’ai l’impression qu’une fois que vous êtes passé à cet état plus rien ne peut vous faire revenir en arrière. En tant qu’auteur, cela peut induire une production de dessins moins soutenue mais plus authentique à vos yeux. La fameuse quantité laisse la place à une productivité différente plus proche des résultats que vous souhaitiez profondément obtenir. Un lecteur lambda estimera peut-être à ce niveau de lecture que je me suis égaré sur une piste sensorielle et qu’au final j’aurais parlé pour ne rien dire. Mais chez « l’artiste premium » même le rien n’existe pas, l’absence de production plastique dissimule par exemple une activité cérébrale plus intense. Et quand celle-ci se libère, l’oeuvre qui est délivrée est plus efficace que les 30 que vous auriez pu produire pendant ce temps-là.

 

Mon raisonnement touche à sa fin et vous n’avez peut-être toujours pas compris ce dont je parle dans ce texte. Alors pour donner plus de corps à ma démonstration, imaginez un calligraphe qui ne passerait plus une journée à remplir des feuilles mais méditerait 8h avant d’en réaliser une seule. Ou un écrivain qui n’écrirait rien pendant une semaine et qui délivrerait un texte puissant en une heure. Aux musiciens qui ne composent rien et qui se mettent à chantonner ce qui sera leur futur succès. A tous les créateurs pour qui l’incubation est devenue l’étape la plus importante de leur démarche créative. Je vous propose d’adhérer à cette théorie : vous êtes devenus des « artistes premium ». Non pas que cela vous mettra dans une catégorie « luxe » dans un formulaire de salon. Mais que vous êtes arrivés au stade où votre esprit ordonne à votre oeuvre de devenir plus mature.

  

Premium, ça veut dire quoi ?

 

Quand on parle de premium on pense à : privilège, récompense, avantage et quand j’y réfléchis, je me dis que c’est exactement de ce point de vue que je perçois ma place au sein de ce monde. Je me sens privilégié de pouvoir observer le monde et d’y voir ce que peu de gens sont capables de remarquer. Je vis cet avantage comme une récompense qui me permet de ne pas commettre les mêmes erreurs que les autres. Etre capable de prendre du recul vis-à-vis de son œuvre autant que vis-à-vis d’un système qui pousse à la surconsommation des biens et des personnes est un luxe. Etre premium ce n’est pas disposer d’une carte dorée donnant accès à des services définis. C’est justement tout le contraire : comprendre que tout autour de nous il y a d’autres alternatives qui sont un luxe pour certains quand il s’agit de choses communes pour nous. Prenons l’un des exemples les plus simples que j’aime à citer. Pour voir des sculptures de Rodin, de Maillol et accéder à une culture artistique, en France il suffit de se rendre dans des parcs et des espaces publics. A New York, comme d’autres grandes villes, pour voir une once de lieux où d’événements artistiques vous devez passer auparavant par la caisse.

 

La disponibilité et la jouissance des œuvres dont nous bénéficions sont tellement uniques que nous ne les voyons plus. Le résultat s’en ressent quand à l’étranger certains font la queue pour voir quelque chose d’accessible et de gratuit en bas de chez eux. Je pourrais tout autant vous parler de la chance de pouvoir acheter des produits directement au sein d’un producteur. Ou encore vous expliquer comment ce pays nous offre de multiples possibilités dans de multiples domaines. Mais je reste convaincu que vous avez compris la teneur de mon propos.

 

Etre un artiste premium c’est avoir les yeux ouverts, non pas uniquement sur son art mais sur l’ensemble de sa vie. Etre un artiste premium c’est accorder du temps à son évolution personnelle avant de penser à son évolution de carrière. Combien de professionnels se retournent en disant « si j’avais su ». On pense souvent à tord que les artistes se mettent volontairement à l’écart du monde. La vérité c’est que l’on compose notre réalité avec nos armes et celles-ci nous permettent de ne pas prendre part à cette orgie de superficialité croissante. Nous utilisons nos sens en permanence pour exprimer un message. Il est donc logique de les utiliser avec toujours autant d’intensité dans notre vie quotidienne. Je ne fais pas mes courses en regardant les couleurs de l’emballage du produit, mais en touchant et en observant le produit en lui-même.

 

L’expérience, la réflexion et la production d’œuvres plus qualitatives nous emmènent doucement vers « une expérience personnelle artistique et humaine enrichie ». Beaucoup d’auteurs s’estiment matures parce que leur pratique est à un très haut niveau technique. Ce dont je parle, c’est d’une symbiose entre différents éléments de votre vie qui viennent à s’agencer pour que votre pratique ne soit plus une période mais un pilier fondamental de votre existence. Ce « pilier » s’accompagnant d’autres appuis tout aussi importants comme des valeurs personnelles ou des croyances fondamentales vous permet de créer un socle qu’une crise financière ne parvient pas à ébranler.

 

En écrivant ces lignes, je n’ai pas cherché à m’absoudre du commun des mortels en décrivant une sorte d’ascension spirituelle ou professionnelle. On pourrait croire en lisant mon texte hâtivement que je veux m’extirper de la société. Pourtant, je ne désire en aucun cas invoquer l’existence d’une classe supérieure d’auteurs qui aurait tout compris et ne souhaiterait plus rien voir. Bien au contraire, j’ai tenu à écrire cet article pour amener l’idée à ceux qui ressentent le même type de changement dans leur parcours artistique qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils le seront de moins en moins.

 

La société nous laisse de moins en moins de choix, nous poussant ainsi à changer notre manière d’observer,

de vivre et d’analyser les lieux pour y rechercher plus loin l’inspiration et l’énergie créatrices.

 

Avec le temps, les villes s’uniformisent et mes récents voyages confirment cette tendance à la colonisation des espaces commerciaux par des chaines de grands groupes. Je ne compte plus les boutiques de vêtements qui prennent la place de lieux atypiques et locaux. Tout comme je ne compte même plus les disparitions de librairies au profit de magasins de chaussures et d’échoppes où l’on troque ses objets personnels pour un peu de monnaie. Trouver l’inspiration en flânant le nez en l’air va devenir une épreuve similaire à un safari en terre sauvage. On efface l’histoire des lieux historiques pour qu’ils ressemblent à un endroit que vous connaissez mais que vous ne pouvez plus situer. On crée des histoires en plaçant de larges tables en bois et en laissant des murs bruts pour amener l’idée de l’authentique et du traditionnel. C’est à nous, en tant qu’auteurs, de se positionner et de ne pas participer à cette mascarade en refusant simplement d’y prendre part. En devenant les mauvais élèves de la consommation de masse et en la relevant par des œuvres contemporaines qui ne chercheraient pas à spéculer mais à démontrer.

 

Aller vers les autres et enrichir sa vie, son œuvre, ses combats et finalement

proposer une solution différente et adaptée à chacun

 

Pas un salon dans lequel je me rends n’échappe aux mêmes interrogations : « pourquoi vous faites ça ? », pourquoi passer du temps à parler des autres ? Pour se détacher de cette tendance à l’individualisme, au mutisme, au moutonnisme et à tout ce qui crée la pauvreté des rapports humains. On s’étonne d’un auteur quand il s’intéresse aux autres alors que personne ne viendrait à s’interroger sur les colloques et réunions dans d’autres secteurs. Au fur et à mesure de mes rencontres, ma démarche m’a amené à naturellement créer une nouvelle offre de service ciblée pour les créateurs. Dans un prochain post, je vous raconterai en détail cette offre par le biais d’une rencontre exceptionnelle. En effet, il y a quelques années j’ai rencontré un auteur talentueux qui n’avait en apparence absolument pas besoin de moi pour évoluer. Il lui arrive de travailler en totale autonomie sur certains projets, parfois en équipe sur d’autres et il n’avait jamais envisagé l’accompagnement. Pourtant, après 3 ans d’observation, je lui ai soumis un ensemble de remarques pour lui démontrer les défauts qui l’empêchaient d’aller plus loin dans son art. Si vous êtes patient et curieux, vous découvrirez comment nous travaillons ensemble à la mise à plat de ses travaux. Comment nous repensons la manière dont il devrait entrevoir son rythme de vie pour travailler au plus juste afin d’être au plus proche de ses attentes.

En attendant, je ne conclurai pas en vous donnant une liste de conseils caricaturaux. Mais si vous êtes à la recherche d’équilibre et de maturité artistique, réfléchissez simplement à ce qui vous fait vraiment défaut au plus profond de vous. Et vous verrez, peut-être à ce moment-là, que les considérations économiques ou environnementales ne sont pas forcement les plus importantes.

 

 


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