C’est avec une grande surprise que j’ai découvert cette affiche de la SNCF au sein du métro parisien la semaine dernière. Arborant fièrement une icône de la culture populaire, l’entreprise dépoussière un vieux personnage de comic strip américain pour faire du neuf. Rien d’exceptionnel dans cette pratique courante de la réinterprétation de la part d’une entreprise qui, comme beaucoup d’autres, tombe dans le piège de la nostalgie. Cette habitude de s’offrir un coup de « pop » comme une vieille société qui s’offrirait « un coup de jeune » pour lancer une nouvelle offre était en soi déjà décevante. Et le slogan accrocheur de cette mise en bouche « prenez le large ! » n’est pas des plus pertinents, surtout à cet emplacement. Essayez de marquer des usagers du métro en quelques secondes est un exercice qui nécessite un brainstorming de plus de cinq minutes.
On pourra néanmoins féliciter les créatifs qui ont bossé sur cette pub. Ils ont mis le doigt sur un point important : « ils » ont pris le large… l’expression tombe donc à point nommé. J’aborde assez rarement les points négatifs de la créativité, mais cette campagne m’en donne l’occasion. Elle m’autorise à exprimer tout haut ce que beaucoup d’auteurs expriment depuis longtemps à longueur de lignes. Stop, arrêtez de pomper sans relâche tout ce qui fonctionne ou plutôt tout ce qui récolte des clics, des « j’aime » et tout ce qui définit une news virale aujourd’hui.
La France est peut-être le seul pays au monde où la majorité des créatifs bombe le torse en cœur pour chanter on est les meilleurs, on a « la french touch », on a l’exception culturelle… blablabla. Je suis le premier à défendre les exceptions culturelles françaises et lorsque je me retrouve nez à nez avec ce genre d’image, je me dis souvent que c’est comme de tendre un bâton pour se faire battre. Pour comprendre mon écœurement, il faut spécifier deux points.
Le premier c’est qu’une campagne de ce type est proposée par une agence de professionnels. Je le répète : des « professionnels », pas des stagiaires, ni des amateurs. En clair, des personnes conscientes des facteurs primordiaux pour la création d’une campagne à grande échelle : l’identité de la marque, les règles de la composition d’une image et le processus créatif pour gagner en originalité. Donc concrètement, une grosse boite de pub propose un concept qui, suite à validation, se retrouve face à vous dans de nombreux espaces publics. Jusqu’ici tout va bien, rien d’inhabituel. Ce qui nous amène au second point : Popeye a perdu sa pipe… Non je plaisante, dans cette France aux grandes valeurs morales, on peut naturellement déshabiller une femme pour tout vendre. Par contre, utiliser un Popeye avec sa pipe au bec dans un wagon non fumeur, ça pourrait perturber l’usager. Il ne comprendrait plus les interdictions…
Plus sérieusement, mon second point s’articule autour d’un buzz suscité par un animateur anglais October Jones, de son vrai nom Joe Butcher en 2014… Oui, vous avez bien lu, j’ai écrit en 2014… Et donc, c’est naturellement en 2017 (histoire de démontrer son train d’avance) que la SNCF nous affiche une campagne qui reprend tout ce qui a fait le succès des images réalisées par l’auteur. L’atmosphère, les références, la mise en scène et le concept général sont directement inspirés des montages dessins et photos qui ont fait le tour du monde. Relisez mon premier point et n’oubliez pas que l’image a été proposée par des professionnels de la communication.
Ce qu’il faut bien comprendre c’est que lorsqu’un auteur délivre une image, il le fait souvent avec une intention, un souhait, voire une envie. Dans ce cas précis, il y avait cette démarche originale de vouloir tuer le temps durant le trajet en transport en commun, en jouant de la proximité des autres et des personnages qu’ils pouvaient évoquer. Il y avait donc une action spontanée, originale et surtout contextualisée. En grand fan de Chuck Jones certaines images étaient donc des hommages à ce créateur. Juste pour information, la première image réalisée et publiée date de 2012… Le buzz sur internet a pris 2 ans plus tard.
Pour rappel la version de la SNCF :
La version d’October Jones depuis 2012…
BEST THING about travelling by train: Sometimes you get to see famous people just chillaxing pic.twitter.com/Anxqq4Pr
— October Jones (@OctoberJones) 31 octobre 2012
It’s wrong to post pictures of people eating on trains but LOOK AT THIS GUY. pic.twitter.com/ziSn33EFQ5
— October Jones (@OctoberJones) 23 mai 2014
A l’époque, de nombreux médias en avaient fait l’echo : Le Journal du Design, Le Huffington Post, Golem13, ComicsBlog, bref des sites à forte audience.
En transformant ce travail en images commerciales, il y a là d’après moi une perte de sens et un détournement qui manque par la même occasion sa cible. Les usagers réguliers du train ne veulent pas de pubs recyclées. Ils souhaitent avant tout le confort, la sécurité, des trains à l’heure et une offre aux meilleures conditions tarifaires. La communication est un art difficile qui peut vous amener vers des bad buzz et des voies difficiles à remonter. Pour exemple, le dernier concept marketing de la SNCF propose de décliner un nouveau terme pour les TGV : InOui… Avec des idées comme ça, on ne sait même plus par où commencer pour les aider. Les humoristes et les usagers les plus comiques inondent déjà les réseaux sociaux.
Pour revenir à ce qui m’a motivé à écrire cet article, je tenais surtout à démontrer aux créatifs qu’il faut absolument diffuser ses idées avec force et méthodologie. Si cet auteur avait encadré son travail et qu’il l’avait poussé jusqu’au bout du concept, la réappropriation aurait été plus difficile. En tout cas, on n’aurait pas pu utiliser ce type de montages sans penser à lui. D’après moi, il aurait dû profiter de son buzz pour décliner ses dessins, ne serait-ce que dans un livre. Les choses auraient peut-être étaient différentes. Essayez de créer des images avec des hommes de petite taille et lancez-les dans une quête à la recherche d’un anneau, par exemple… et voyez quelle référence on vous opposera. Il est plus difficile de reproduire une ambiance largement diffusée, surtout dans un cas comme ici. L’histoire nous apprendra peut-être qu’il a participé à cette campagne, même si j’ai de sérieux doutes sur la question. Aucune mention de sa « patte » dans les textes de communiqués de presse, suite à la campagne. Par contre, l’agence de pub et le photographe, eux, ont été cités…
Dans un style différent mais complémentaire, le SleeveFace (prendre la pose avec un livre ou une pochette de disque) est apparu vers 2007 et connait un regain d’intérêt en France en 2017… Cliquez ici pour voir un ensemble d’exemples réalisés par une librairie. Comme quoi, on n’est pas encore à l’abri d’une prochaine campagne qui exploitera à nouveau un genre qui buzzera encore et encore. Pour en voir plus sur le sujet, cliquez sur le lien www.sleeveface.com, ou tapez « sleeveface » dans un moteur de recherche avec l’option image.
A plus large échelle, dans la publicité la reproduction d’idées ne prend jamais le temps de demander des permissions. L’excellent site « Joe La Pompe » et le livre du même nom vous permettront de bien comprendre cette pratique. Elle est décevante mais tellement courante qu’elle ne choque que ceux qui ont la culture de la pub et de l’image.
Le site Internet d’October Jones : https://www.curtisbrown.co.uk/client/orlando-jones