© copyright image : Antoine Titus
Avec le temps, les modes et les comportements sociétaux évoluent. Ils s’assimilent ou viennent à disparaître naturellement. Certains facteurs (économiques, politiques) provoquent des changements en douceur ou parfois de manière plus abrupte. A l’image d’un cycle, ces modifications en amènent toujours d’autres et débouchent aussi souvent sur des révolutions. Elles sont intellectuelles ou technologiques et peuvent apporter autant de confort que de désagréments, voire du choix ou des restrictions. Quoi qu’il en soit, l’évolution ne s’arrête jamais et comprendre la mécanique de ces paramètres c’est déjà s’assurer la possibilité de devenir plus créatif.
Prenons le cas du « good enough », cette expression qui désormais met en lumière cette nouvelle manière de consommer. C’est un peu comme un label, voire une norme de produit. Imaginons une personne désirant acheter une voiture. Si elle la désire solide, économique et confortable mais sans fioritures, on la guidera naturellement vers ce que l’on appelle des voitures dites « low cost ». Autrement dit, des automobiles qui effectueront le job mais qui ne vous permettront pas d’obtenir une sorte de reconnaissance sociale par l’emblème de la marque. Les publicitaires ont beaucoup joué dans leurs spots sur ce coté « tout ce qu’il faut, juste ce qu’il faut » avec la marque Dacia, par exemple. Mais ce qui peut s’observer en automobile peut s’observer dans le secteur alimentaire et même dans le secteur industriel.
Je me souviens qu’un jour lors d’une formation en photographie le formateur posa cette fameuse question :
« Qu’est-ce qu’une bonne photo pour vous ? »
Le tour de table a permis à chacun d’exprimer son opinion et la réponse de la plus jeune d’entre nous m’avait alors interpelé. Pour elle, une photo réussie c’était avant tout une photo nette. À elle seule, elle venait de résumer l’état d’esprit de millions d’utilisateurs (pour ne pas dire clients) à travers le monde : ceux qui désirent appuyer sur le déclencheur en toutes circonstances et obtenir un résultat propre et net.
Une photo nette c’est tout, et c’est suffisant.
Cette obsession de la photo nette s’accompagne généralement du mythe de la photo de qualité, c’est-à-dire avec plein de pixels. Aujourd’hui encore, de nombreux utilisateurs n’ont toujours pas compris le rapport qui existe entre le nombre de pixels et la taille d’un capteur photographique. On ne peut naturellement pas leur jeter la pierre car les erreurs de communication des grandes marques se partagent la responsabilité de ces mauvaises croyances. Des sociétés viennent encore nous vendre des photos lumineuses même en pleine nuit… autant dire que ce sont les mêmes qui essayent de nous vendre des pêches carrées en ventant un gout unique !
Le rapport esthétique que nous entretenons à l’image ne cesse d’évoluer lui aussi, tant dans nos attentes que dans nos désirs. Quand j’utilisais à l’époque un appareil numérique de deux méga pixels qui tenait dans la poche, beaucoup me disaient que je perdais mon temps et que je devrais faire de vraies photos avec un véritable appareil argentique pour obtenir du grain sur l’image. Aujourd’hui, on organise des concours photo réservés aux Smartphones (appelés maintenant Photophones) alors que leurs capacités techniques sont équivalentes aux numériques d’autrefois.
Il faut croire que la mentalité du « good enough » s’est répandue dans ce secteur aussi rapidement que dans les autres. Les smartphones, et par extension les réseaux sociaux, ont désacralisé la photographie pour la rendre plus cool avec des filtres. Plus de 250 millions de photos sont uploadées par jour rien que sur le réseau Facebook. La proportion des images prises avec des appareils mobiles n’est pas mentionnée mais cela appuie la théorie que l’on en vient à se satisfaire d’une qualité standard (voire médiocre techniquement parlant) en partant du postulat que le message passe, donc c’est suffisant. Une photo nette avec Pharel Williams postée sur Instagram est largement suffisante pour prouver qu’on l’a rencontré. Pourquoi diable prendre une photo avec un appareil plus performant ?
Les photographes de mariages font partie de ceux qui subissent de plein fouet la mentalité du “good enough” car, après tout, le petit cousin avec son nouveau reflex peut prendre les mêmes photos que lui, en plus il les fera gratuitement.
Le consommateur se standardise-t-il en réaction à la société de consommation ou est-il juste sous son influence ?
Dans le secteur du commerce, les étalages commencent à se remplir de produits ne se vendant plus. Non pas que la crise empêche qui que ce soit d’acheter, mais plutôt qu’auparavant on achetait plusieurs produits par impulsion. Cette période pour ne pas dire attitude de consommation de masse est tout simplement révolue. Aujourd’hui le “con sommé d’acheter” les produits en tête de gondole est devenu “consom’acteur”. Comprenez par là que nous n’avons jamais autant utilisé de cartes de fidélité et de coupons de réduction. Tout comme nous n’avons jamais autant utilisé internet pour trouver les produits au meilleur rapport qualité-prix. Pourquoi ? Car maintenant, le consom’acteur lit les tests et les étiquettes des produits. Il consomme plus de produits alimentaires locaux, voire bio, mais surtout il achète ce dont il a réellement besoin.
Les commerçants ont compris cette attitude d’implication dans l’acte d’achat, et certaines sociétés longtemps avant les autres. Observez le concept de Muji qui vend des produits avec une neutralité quasi esthétique et une fonction claire, s’accompagnant d’un choix restreint. Le vrai challenge de ces sociétés réside dans un acte de vente de produits simples, en grande quantité si possible, mais sans vous offrir la possibilité du choix. Allons-nous évoluer vers des rayons avec trois marques de pâtes au lieu de quarante ? Dans certains emplacements c’est déjà le cas, d’ailleurs les hommes et femmes du 21e siècle sont tellement pressés que la liste des courses est maintenant disponible sur un panneau dans le métro. Grâce au QR code vous pouvez maintenant commander vos produits en « les flashant » avec votre mobile. Il ne vous restera plus qu’à attendre votre livraison chez vous le soir même. Le choix ? Il est simple, en prenant les produits courants les plus vendus. Les panneaux ne sont pas bien grands.
Observer les comportements sociétaux, c’est comme mener une veille en temps réel
L’un des principes du développement de la créativité c’est l’observation de la société dans laquelle nous évoluons. En identifiant clairement des attitudes de consommation, que ce soit dans le domaine culturel ou social, on peut trouver des idées ne serait-ce qu’en prenant acte de certains détails. On ne le dira jamais assez mais on ne trouve que rarement de bonnes idées au fond d’une grotte ! Il faut que vous acceptiez ce challenge de poser votre regard sur les évolutions sociétales pour espérer en tirer des problématiques et par la suite des concepts. Que vous soyez plasticiens, designers ou créateurs d’entreprise, il est impératif que votre regard s’aiguise et que vous notiez tous ces petits changements qui passent inaperçus.
Vous voyez, la créativité n’est pas qu’une simple question de génie, de rencontres, ou de talent d’esthète. Elle s’abreuve aussi de culture. Celle-ci doit être en corrélation avec vos projets, ou du moins avoir des thématiques susceptibles de vous aiguiller efficacement. Avant même de démarrer un projet, posez-vous seulement cette question :
Est-ce que j’ai en ma possession les ressources documentaires suffisantes pour ne pas commettre d’erreurs techniques ?
Ce questionnement paraît si évident qu’au regard de nombreux projets d’étudiants (en master) ou de professionnels, on s’interroge souvent sur la manière dont ils on été conduits. Je ne parlerai absolument pas de ce pont parisien en bois exotique qui, le jour de son inauguration, a révélé que la pluie le rendait glissant. Je ne citerai pas également le bâtiment londonien en verre qui est capable de faire fondre n’importe quel objet (ou voiture!) placé en contrebas dans la rue face à celui-ci. Je n’évoque même pas les sculptures et autres installations artistiques qui, une fois mises en place, se révèlent impossibles à entretenir ou dont les pièces sont soudées et par conséquent impossibles à changer en cas d’usure.
Quand je travaillais sur des concepts de mobilier et d’assises en milieu souterrain pour une société de transport, on m’avait conseillé une bibliographie sur les notions d’intimité et de promiscuité. Celle-ci m’avait permis d’envisager la conception de différents types d’aménagement, dans l’objectif d’obtenir une meilleure gestion de l’espace et de l’intimité entre les individus. Inutile de vous dire qu’avec le recul, je me régale d’observer les gens discuter avec une « ardoise » vissée contre la tête, pendant les heures de pointe dans les transports en commun. Personne ne l’avait vu venir il y a dix ans, mais ce que nous savions c’est que la sphère intime allait exploser. Et qu’une série de comportements et d’objets allait naître pour le meilleur et le pire.
« Dédicace personnelle à cet ingénieur qui m’avait dit en 2002 que, dans l’avenir, personne ne regarderait un film dans un téléphone… »
Comment observer des phénomènes sociaux ?
Il arrive souvent qu’un phénomène social soit si profondément ancré dans le temps ou dans une culture que l’on ne le perçoit plus. C’est pour cela qu’il est important de rester à l’écoute de l’actualité ou d’observer avec attention les médias susceptibles de les mettre en avant, comme les reportages télévisés ou le cinéma. Quand le film Tanguy est sorti au cinéma en 2001, tous les célibataires de plus 25 ans vivant chez leurs parents ont hérité de ce pseudonyme. Car le film raconte justement l’histoire d’un célibataire refusant de quitter le cocon familial. Dans les faits, l’histoire de Tanguy n’est pas une fiction mais la mise en scène de ce phénomène qui est tout sauf une exception culturelle française. Au japon quand un jeune homme refuse de rentrer dans « les normes » et reste chez ses parents on parle alors de célibataire parasite. Pour les anglo-saxons, il est question de génération boomerang dans la mesure où vous pouvez partir et revenir chez vos parents plus tard. Quant au Canada, le phénomène a été observé dès les années 80. Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas en face d’une situation nouvelle.
Image du film Tanguy d’Etienne Chatillez
Comment tirer des idées de vos observations ?
En revenant à la notion de problématique (évoquée dans le premier billet) et en se positionnant sur des questions qui vous pousseront à réfléchir sur différentes solutions, il vous sera aisé de trouver des pistes intéressantes pour n’importe lesquels de vos projets. En prenant l’exemple cité ci-dessus, si vous êtes artiste peintre, vous pourrez sans peine peindre des situations et des mises en scènes originales, en imaginant des parents surpris par leur enfant dans les situations les plus inattendues. Un scénariste n’aura aucune difficulté pour raconter des histoires qui illustrent la confrontation des générations ou le retour d’un fils prodigue après un divorce. Un designer, quant à lui, réfléchira peut-être à des espaces d’isolement ou encore à des cellules de bien-être capables de tenir dans une chambre de 10m2, voire dans un meuble. Comme vous pouvez le constater, il y a mille et une lectures possibles d’une situation en fonction de votre profil.
A vous maintenant de trouver les phénomènes sociaux susceptibles de vous inspirer,
des histoires, des images et bien plus encore.
Bonjour Antoine,
je te savais artiste, je te découvre visionnaire, avec tout ce que cela sous-entend.
Merci pour cette « photographie » pertinente de notre monde, merci pour toutes ces pistes de réflexions, merci pour cette invitation à observer…
Annie
Merci Annie pour ce commentaire, je suis bien heureux d’avoir pu capter ton attention avec cet article. J’espère que ce sera le cas pour les prochains. 😉
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