Artbook d’Ana Mirallès, aux éditions Daniel Maghen


ANA, est le premier Artbook consacré à la dessinatrice espagnole Ana Mirallès. Celui-ci est composé majoritairement d’une sélection d’illustrations, sur le thème de sa BD Djinn. Si vous ne savez pas qui est Ana Mirallès, dites-vous simplement qu’elle est l’une des plus grandes autrices de BD de sa génération.

 

En ce qui concerne sa BD Djinn, (scénarisée par Jean Dufaux), elle a franchi depuis quelques années le million d’exemplaires vendus à travers le monde. Il est question ici d’une Bande Dessinée que vous pouvez trouver en 9 langues. Donc, on peut dire sans rougir qu’Ana Mirallès est une autrice de renommée mondiale. Les nombreux prix qu’elle a pu remporter, dont celui du Festival de la BD de Barcelone, ne font que confirmer cet état de fait.

 

Comme on peut l’imaginer, Djinn n’est pas l’unique bande dessinée sur laquelle elle a travaillé au cours de sa carrière. Pourtant, c’est celle avec laquelle elle a su s’imposer avec le temps. C’est dans ces conditions qu’elle lui a permis de gagner une notoriété internationale. Et dans le même temps une indéniable cote lors des ventes aux enchères. D’ailleurs, cet Artbook pourrait tout aussi bien être un véritable catalogue de vente. Dans la mesure où certaines des illustrations présentes ont été mises en vente aux enchères durant le mois de lancement de cet ouvrage.

 

Artbook d'Ana Mirallès aux éditions Daniel Maghen

 

Un Artbook de bonne facture avec des images lumineuses

 

De mon point de vue, cet Artbook cumule beaucoup de points positifs. Le premier est bien évidemment le format. Comme vous le savez déjà, je suis un amoureux des livres d’art. Et croyez-moi lorsque je vous dis que plus le livre est grand, plus sa lecture en est agréable. Comme on pouvait s’y attendre, la taille des pages nous autorise à voir l’ensemble des détails de chacune des illustrations. Et cela est un véritable régal pour les yeux. Les couleurs des dessins d’Ana Mirallès sont indéniablement mises en valeur dans un format large mais contenu. En conséquence, les dessins en double-page vous offrent assez d’espace, pour une appréciation plus juste des détails.

 

Artbook d'Ana Mirallès aux éditions Daniel Maghen

 

Concernant la réalisation physique du livre, le papier est de très bonne qualité. On est sur quelque chose de très agréable au toucher. Le papier a la bonne épaisseur pour supporter les impressions. De plus, il ne dégage aucune odeur particulière avec l’encre. Ceux qui, comme moi, ne supportent pas les papiers saturés, apprécieront ici de pouvoir consulter un livre sans se sentir nauséeux.

 

 

Au fur et à mesure de la consultation du livre, on se retrouve plongé dans un univers, dont les éléments graphiques sont riches et variés. Ana Mirallès nous propose des oeuvres hautes en couleurs, mais surtout une vision de la femme sublimée. Il est clair qu’une forme d’érotisme et une sorte de sensualité sont présentes dans cet ouvrage. Cependant, le raffinement des dessins ainsi que le choix des sujets tendent plus vers la fascination que le voyeurisme.

 

 

La femme est sublimée aussi bien par le sujet que par le graphisme

 

 

Les mises en scène sont avant tout au service d’une imagerie. Elles n’emprisonnent pas la femme comme un objet, mais l’érigent au rang de figure iconique. Ce qui émane de cet Artbook c’est une maturité artistique, qui transpire à chacune des pages. Les illustrations ne comportent pas d’erreurs anatomiques que l’on maquillerait par une quelconque identité graphique. Bien au contraire, les corps sont magnifiés et idéalisés. Mais surtout ils sont dépeints pour correspondre à des canons de beauté ainsi qu’au thème de la BD Djinn.

 

Il existe quelques vidéos où il est possible d’apercevoir Ana Mirallès dessiner. Et l’on voit bien comment cette illustratrice s’applique sur ses dessins. D’autant plus qu’elle semble se mettre à l’ouvrage comme une véritable artisane d’art. On la découvre penchée sur sa table à dessin. Elle travaille méticuleusement à s’approprier son personnage par le biais d’une esquisse, avant de se lancer dans une peinture plus léchée.

 

 

Artbook d'Ana Mirallès aux éditions Daniel Maghen

 

Une esthétique bien connue des artistes et historiens de l’art

 

Sur le plan esthétique, Ana peut nous évoquer les peintures dites orientalistes. Comme l’illustre la peinture (Odalisque de Adrien Henri Tanoux) que vous pouvez voir ci-dessous. Les codes du genre sont tous présents dans l’oeuvre d’Ana Mirallès. Pour exemple, les images mettent en scène des femmes d’une grande beauté dans des poses lascives. Elles sont souvent accompagnées de nombreux éléments décoratifs. Et cela, comme on peut le trouver dans la peinture orientaliste. Ainsi, tous ces jeux de lumières et de mises en situation des éléments de décoration sont aussi une forme de démonstration de sa dextérité.

 

 

En mettant en comparaison les deux images, on peut clairement voir les influences et comprendre comment l’orientalisme fait partie intégrante de son oeuvre. Que ce soit par le biais de la position des corps, de l’atmosphère ou encore du mobilier, tout dans ses images nous évoque fortement cette période du 19ème durant laquelle la femme orientale était l’objet de tous les fantasmes.

 

Artbook d'Ana Mirallès aux éditions Daniel Maghen

 

Ana Mirallès est clairement dans une posture décorative et illustrative. Elle ne cherche pas à déranger par des formes disproportionnées ou des mises en scène vulgaires. Elle cherche avant tout une esthétique précise avec des détails presque invisibles sur des impressions de ce format. Pour bien saisir la complexité de son travail, il faut la voir poser des coups de pinceaux de quelques millimètres ne serait-ce que pour évoquer un tatouage ou une texture.

 

Un regard féminin pour une vision moins caricaturale de la femme

 

 

Pour ma part, je pourrais facilement la classer parmi les maîtres du genre, comme à l’image d’un Manara. Avec une nuance de taille, un regard féminin parfaitement assumé qui valorise une composition dans son ensemble. Alors qu’un illustrateur avec un regard masculin aurait travaillé sur des formes corporelles et des mises en volumes plus prononcées, mettant en lumière le fameux « male gaze ».

 

 

Les illustrateurs ont cette habitude qui consiste à définir la femme par ses formes. On le remarque souvent dans l’apprentissage du dessin. Tandis que chez Ana Mirallès, le corps des femmes est comme suggéré. On a cette impression de pouvoir capter le physique des femmes grâce à un environnement global, plutôt que par le biais d’une anatomie.

 

Quelques critiques objectives sur l’Artbook

 

Si, comme moi, vous avez le carnet de notes sur Africa, vous allez aisément reconnaître quelques illustrations, comme celles exposées ci-dessous. Ce qui m’amène à penser que dans un cas comme ici, il y avait une mise en page intéressante à reproduire. C’est-à-dire que l’intérêt de cette composition gagne en force sur une couverture. Alors qu’ici, la confrontation est à mon avis atténuée par le choix de la mise en page.

 

Je pense qu’une impression calibrée sur deux feuilles repliées aurait été plus judicieuse. Les pages auraient pu ainsi s’ouvrir sur un ensemble de croquis. Dans le but de créer un quadryptique, ou bien alors deux illustrations en dyptique. En clair, il y avait de quoi faire pour jouer sur ces deux moitiés.

 

Artbook d'Ana Mirallès aux éditions Daniel Maghen

 

Toujours dans le carnet de notes Africa, on pouvait voir un personnage en ébauche tout en couleurs. Dans Ana, il faudra se contenter de la version en noir et blanc. Dans un exemple comme celui-ci, je pense que confronter ces deux images dans l’ouvrage aurait été intéressant. Une impression sur un calque par dessus la version couleur aurait été exceptionnelle.

 

Artbook d'Ana Mirallès aux éditions Daniel Maghen

 

Ci-dessous, une autre comparaison entre le carnet de notes et ANA. Ici encore, je pense que le choix du croquis initial sur la page de gauche aurait été le bienvenu.

 

Artbook d'Ana Mirallès aux éditions Daniel Maghen

 

Des choix éditoriaux face à la concurrence

 

Si je devais apporter d’autres remarques, elles seraient sans aucun doute liées à certains choix éditoriaux. Par exemple, aux éditions Maghen il existe plusieurs collections. Et j’ai déjà vu des Artbooks réalisés complètement différemment, tant sur le fond que sur la forme. Pour exemple, l’Artbook Curiosities de Benjamin Lacombe a bénéficié de différentes versions dont un tirage de luxe.

 

Qui plus est, je reste surpris de voir que cet Artbook ne soit pas un pavé, comme on a pu le voir chez d’autres éditeurs avec des auteurs du même calibre. Je ne vais pas comparer cet Artbook à celui de Manara, dont la critique est disponible ici. Cependant, je pense que 300 pages auraient été un minimum, car dieu sait qu’il y a de la matière ici pour le faire. Ana Mirallès a quand même des années de pratique artistique. Pour cette raison, je suis persuadé que ses tiroirs regorgent de trésors.

 

J’ai aussi noté des choix de mises en page que je n’aurais pas validés. Prenons le cas des pages vierges qui, pour articuler les parties, nous « privent » de dessins. Sans compter les pages qui possèdent un seul paragraphe descriptif. Enfin, je n’ai pas compris pourquoi une illustration a été tronquée. Alors que la version « brute » sans marges était parfaitement exploitable.

 

D’autant plus que la planche originale était dans le catalogue de la vente aux enchères. Je vous avoue qu’en voyant l’illustration je me suis dit : « tiens pourquoi le cadrage est si rapproché au niveau de la tête… » Cela n’est pas dramatique en soi, mais j’admets avoir été surpris par ce détail. Voici l’image originale ci-dessous avec l’image dans l’Artbook qui suit.

 

Artbook d'Ana Mirallès aux éditions Daniel Maghen

 

Artbook d'Ana Mirallès aux éditions Daniel Maghen

 

Une présentation soignée mais conventionnelle

 

En outre, je pense que plus de dessins préparatoires nous auraient donné une dimension plus intimiste et moins « froide » dans la présentation globale. Si on regarde les Artbooks biographiques de l’éditeur, on s’apercevra qu’ils amènent une dimension graphique parfois proche des carnets de voyage.

 

Pour en avoir un dans ma bibliothèque, je sais de quoi je parle. Et cela donne une tonalité pour ne pas dire une saveur très appréciable à cette collection. Je pense que la thématique et la colorimétrie des travaux d’Ana Mirallès nous poussent à attendre une vision plus sensible et moins standard dans la présentation de son travail.

 

Alors qu’ici, au fur et à mesure de ma lecture, je ne pouvais m’empêcher d’avoir la sensation de feuilleter un luxueux catalogue d’exposition. Cela n’est pas dérangeant en soi, mais inconsciemment cela m’a poussé à comparer cet Artbook avec d’autres du même type. Dans ces conditions, en prenant un peu de recul, je dirais que sur le plan de la mise en page, on est sur un ouvrage extrêmement sage.

 

Alors que de mon point de vue, cette autrice mériterait un Artbook avec un façonnage plus luxueux ainsi qu’une présentation plus personnalisée. Afin de bien comprendre mon propos, il ne faut pas oublier que je replace cet ouvrage dans un contexte éditorial très particulier. Et que pour rappel, aucun de mes articles n’est sponsorisé. Donc vous pouvez croire en l’objectivité de mon propos. Cet ouvrage lui-même est un achat personnel et non un tirage presse envoyé gratuitement…

 

Une nouvelle sortie dans un contexte hyper concurrentiel

 

Depuis quelques temps, il y a des nouveautés tous les jours. Je me surprends à découvrir des livres sortis en 2019… Posez-vous d’ailleurs cette question simple : aviez-vous déjà entendu parler d’Ana Mirallès ? Et surtout, saviez-vous qu’un Artbook éponyme sortait durant le mois de décembre ? Je ne parle même pas de la vente aux enchères, tellement ce genre d’activité concerne un public bien spécifique. Rien que durant le mois de décembre, j’ai réussi à « capter » 4 grosses sorties d’Artbook. Avec des prix allant de 39 euros à plus de 100 euros…

 

Dans ces conditions, je pense que chaque nouveau livre ne doit être envisagé que dans un contexte très concurrentiel. Ne serait-ce que dans mon entourage proche et élargi, je suis le seul à dépenser autant d’argent en livres d’art, tous genres confondus. Faites en vous-même l’expérience et interrogez vos proches. Qui parmi eux dépensent 50 euros en moyenne pour des livres composés majoritairement d’images ? Voilà pourquoi, d’après moi, un premier ouvrage comme c’est le cas ici méritait d’être plus ambitieux. Malgré tout, je pense que les illustrations à elles-seules permettront d’assurer les ventes des ouvrages.

 

Conclusion

 

Avec cet Artbook, les éditions Daniel Maghen ont agrémenté la fin d’année avec une véritable pépite. Le format et la qualité du papier viennent former un ensemble qui sied parfaitement au sujet. Les couleurs des illustrations en double-pages valent à elles-seules l’acquisition de ce livre. D’ailleurs, j’avoue sans peine que c’est exactement ce qui m’a convaincu dans mon achat. Nul doute que ce livre se vendra tout seul, et qu’il sera très rapidement en rupture de stock. Une fois de plus, mon plus grand regret est le volume du livre.

 

Car je reste persuadé qu’une fois que vous l’aurez en main, vous comprendrez pourquoi j’en attendais au moins une centaine de pages en plus. Il faut souligner que c’est le talent d’Ana Mirallès qui nous incite à toujours vouloir en voir plus. Alors qui sait ? Peut-être est-ce là un premier livre qui lui permettra d’en publier d’autres encore plus denses. Dans tous les cas, c’est tout ce que je lui souhaite. D’ici là, on va savourer celui-ci : le lire, le feuilleter, le partager, le ranger pour le sortir à nouveau et recommencer encore et encore.

 

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