Milo Manara est un auteur de bandes dessinées que l’on ne présente plus, puisque ce véritable pilier du neuvième art est aussi connu que certains de ses titres. Avec par exemple « Le déclic » ou encore « Le parfum de l’invisible » pour ne citer que deux anciens ouvrages populaires en France. Bien qu’on le connaisse surtout pour le caractère érotique de ses livres, il a oeuvré dans de multiples domaines, comme au cinéma ou encore dans la publicité pour ne citer qu’eux. Plus récemment, il s’est illustré avec des productions plus denses et surtout plus matures sur le plan esthétique. Les bandes dessinées « Borgia » et « Le Caravage » dévoilent un véritable maître de l’aquarelle au sommet de son art.
Cela surprendra sûrement plus d’un lecteur de découvrir ici un livre faisant la part belle à l’érotisme. Cependant, ne nous voilons pas la face, de nos jours l’érotisme est omniprésent dans notre quotidien. Ne serait-ce qu’au travers de la publicité ou encore dans l’industrie musicale. L’érotisme est si présent qu’il s’est banalisé dans tous les pans culturels de la société. Quoiqu’il en soit, je ne pouvais faire l’impasse sur ce tirage, et cela pour une raison simple. Les éditions Glénat ont réussi à condenser 50 ans de carrière dans un livre de 512 pages…
Pour parvenir à cet exploit, des choix bien réfléchis ont été faits. Ce qui a conduit l’éditeur à sélectionner des images majoritairement tout public, mises à part quelques exceptions. Vous découvrirez ainsi une partie de l’immense production d’un maître du dessin. La biographie de Manara est trop longue pour être abordée ici. C’est pour cela que je me concentrerai sur l’ouvrage en lui-même plus que sur l’auteur.
Manara, un passionné d’art qui joue avec les références
Manara aime les grands peintres et cela se ressent dans de nombreuses illustrations. Que ce soit par des hommages appuyés ou par des références plus subtiles, son trait est toujours juste. La couleur lui permet de modeler des corps et des vêtements, sans jamais tomber dans l’excès. Comme vous pouvez le voir ci-dessous avec ses hommages à Klimt et Mucha.
Vous ne trouverez pas de mise en volume grossière dans ses dessins. Manara se concentre toujours sur une pose, une attitude et une atmosphère. Il en ressort des ambiances quasi cinématographiques.
Les dessins imprimés en double page donnent une toute autre dimension à des images que l’on connaissait en plus petit format. Pour avoir un autre livre de l’auteur, je peux confirmer que le gain est réel en terme de perception d’ambiance.
Manara a commencé sa carrière artistique aux cotés du sculpteur Miguel Berrocal. Dans son parcours, on notera sa grande proximité avec Hugo Pratt. On comprendra sans mal comment son art a su fusionner un monde tridimensionnel avec une expression graphique en deux dimensions.
D’autant plus que son talent lui permet aussi de s’approprier n’importe quel personnage pour en délivrer sa propre version. Si bien que son dessin d’Obélix me pousserait à lire des aventures gauloises.
Un livre qui provoque l’envie d’en voir toujours plus
Le véritable point négatif de ce livre c’est qu’il suscite l’envie d’en savoir plus. On en viendrait à rêver d’un autre livre : avec les mêmes dimensions, le même volume de pages et si possible le même tarif. ( Glénat, si vous lisez ces lignes… vous savez quoi faire 😉 ) Il ferait honneur à la démarche artistique de Manara ainsi qu’à sa méthodologie de travail, avec plus de croquis spontanés et moins d’images parfaitement léchées. Malgré tout, je pense que cette publication reste une incontournable de l’année. C’est LE livre à avoir dans sa bibliothèque lorsque l’on est amoureux de l’art, de l’illustration et bien évidemment de la représentation graphique des femmes.
Elles sont omniprésentes et représentées de toutes les manières. Extraits de planches de BD, illustrations de commandes, hommages ou encore esquisses… elles jalonnent ce livre. Les talents d’anatomiste de Manara sont incontestables. Ce qui vient nous frapper, page après page, c’est l’impressionnante maîtrise du volume et de la lumière. Il est capable d’appliquer une variété d’effets à l’aquarelle, insufflant à ses images un rendu d’une grande qualité.
Manara n’a aucun mal à représenter une époque, une matière, une lumière et surtout à en faire la synthèse. Ce qui distingue un artiste d’un autre réside dans sa capacité à raconter une histoire avec un minimum de moyens. Manara est capable de nous embarquer avec lui dans une taverne, un atelier, un bateau ou encore en pleine campagne, de manière naturelle. Ainsi, l’ensemble de son travail témoigne d’une culture encyclopédique que l’on ressent jusque dans les vêtements de ses personnages. En d’autres termes, si vous avez l’occasion de voir son travail sur Le Caravage, vous comprendrez pourquoi on le considère comme un maître.
Avec Manara, on parcourt les formes sans effort et sans rejet. La vulgarité et le manque d’authenticité des images érotiques contemporaines nous amènent à ne plus valider certaines mises en scène. Ce livre se nomme « Sublimer le réel », et c’est exactement ce qu’il arrive à faire. Il est enthousiasmant dans la mesure où il nous offre une vision traditionnelle, classique mais esthétique de corps fantasmés. Certains jugeront peut-être cet ouvrage comme étant d’une autre époque, d’autant plus qu’il ne comporte aucun dessin réalisé à l’aide d’une palette graphique. Cependant, c’est justement parce qu’il met en lumière un talent et une carrière exceptionnelle qu’il prend tout son intérêt.
Un tirage proche de la perfection
Comme vous le savez, j’apprécie les livres autant pour leur contenu que pour l’objet. Dans un cas comme celui-ci, ce résumé de carrière pèse lourd sur la balance. À vrai dire, il ne fait aucun doute que cet énorme pavé de papier est dans l’ensemble bien pensé. D’autant qu’il est constitué de beaucoup d’illustrations, toutes plus sublimes les unes que les autres. Pourtant, il me manque quelque chose dans ce livre. Un petit rien qui aurait fait la différence. J’aurais souhaité voir la naissance de plusieurs dessins. Que l’on nous invite en quelque sorte dans l’atelier de l’auteur. Je reste persuadé qu’en dévoilant les sources de son inspiration, Manara aurait comblé plus d’un curieux.
Je ne vais pas comparer ce livre à un autre, car il existe peu d’équivalent. Pour rappel, Glénat avait déjà publié un livre sur Manara en 2011. « Peintre et modèle » était un recueil de 128 pages, incomparable avec l’ouvrage que nous avons ici. Dans cette nouvelle édition, le parti pris a été de rendre hommage au dessin dans sa pleine expression.
Conclusion
En résumé, chez Glénat, on sait faire de beaux livres et « Sublimer le réel » en est un exemple parfait. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de l’acheter en moins de cinq minutes (alors que je suis un client assez exigeant). De nos jours, on nous parle de plus en plus de surproduction de livres dans le domaine de la bande dessinée. Mon avis reste le même depuis mes premiers articles sur le sujet (toujours en ligne ici et ici). Le premier soucis de l’édition dans le secteur de la BD est de mon point de vue d’ordre qualitatif. Et force est de constater que réussir à publier un ouvrage de 512 pages en couleur, dans ce format, et à 49 euros TTC est un tour de force.
Pour avoir fait le tour des sorties en ce début d’année, vous ne trouverez aucune biographie illustrée de cette qualité à ce tarif. Et pour cause, on est dans une démarche de livre de table (coffee table book) accessible quoique l’on en dise. Le choix des illustrations vous permet de montrer l’ouvrage au plus grand nombre et d’initier à l’oeuvre de Manara en douceur. Par contre, notez bien que le livre existe en deux versions. L’un est un tirage classique, alors que l’autre est accompagné d’un « tiré à part » signé par l’auteur. Alors, laissez-vous sublimer comme je l’ai été ;-).