Ce musée que vous ne verrez jamais


Laisser libre cours à son inspiration

 

Une soirée comme une autre. Je me laisse happer par l’appel de la feuille blanche. Je lance une conférence en fond, et mes mains glissent naturellement sur le papier. Au bout de quelques minutes un bâtiment se dessine devant moi. L’esquisse est trop petite par rapport à mon ambition. Je prends une nouvelle feuille, et je recommence plus lentement cette fois-ci. La forme d’un œil ouvert vers le ciel se profile. Cela ne me suffit pas, j’ai besoin de la voir en couleurs pour qu’elle corresponde parfaitement à ma vision.

 

 

Je prends mes crayons de couleurs et je m’applique à suggérer un faisceau lumineux, comme une lueur d’espoir qui fend le ciel et qui prendrait naissance depuis l’enceinte d’un bâtiment. Plus qu’un exercice, je visualise le plus précisément possible mon idée. Au bout de quelques heures, le dessin est là. Condamné d’avance car n’émanant d’aucune requête. Voué au rejet de par la thématique qu’il représente. Je prends quand même le temps d’écrire quelques notes pour que ce projet mort-né soit le plus dignement enterré dans le tiroir des idées sans avenir.

 

 

Les artistes ont tous ce genre d’endroit au sein duquel ils cumulent des idées qui ne dépasseront jamais la feuille de papier. En ce qui me concerne, il y a de quoi faire. J’ai des boîtes et des tiroirs entiers qui ne demandent qu’à s’ouvrir. Mais nous vivons une triste période où les esprits se ferment. Toutes les idées qui dérangent, interpellent ou sortent la population de leur zone de confort sont perçues comme des menaces. Au pire, elles sont ressenties comme des provocations envers la France.

 

Mettre en forme une idée en se focalisant sur une vision

 

Ce projet, dont je vous dévoile deux esquisses, symbolise ma vision de ce qui pourrait être un musée dédié à la traite négrière. L’esclavage est très certainement l’un des derniers sujets tabous de notre ère. Evoquer des situations qui s’y rapportent vous met directement dans la case des individus à surveiller ou à éviter, au choix. Alors que de nombreux peuples ne demandent qu’à connaître leur histoire, on leur répond parfois avec véhémence qu’ils devraient se taire. Pas un seul article en ligne sur le sujet n’arrive à générer de débats « dépassionnés » comme le veut la formule.

 

Quand on voit que l’on traite l’écologie avec humour et nombre de polémistes, on finira par comprendre que tout ce qui dérange ne doit pas être abordé sérieusement. Le problème c’est qu’en fermant les yeux trop longtemps sur un sujet, on en vient à oublier qu’il représente une réalité pour les uns et une horrible actualité pour d’autres. Pour rappel, la traite négrière n’existe plus sur le territoire français, mais l’esclavage moderne existe encore à travers le monde. Dans les années à venir, la France va enfin se doter d’un monument et d’une fondation au sein de Paris. Un article du magazine Le Point n’hésite pas à parler d’une naissance « aux forceps ».

« Rassembler près de 10 millions d’euros, sur quatre ans, autour de ce projet n’aura cependant pas été une mince affaire. »

 

Beaucoup ne comprendront jamais l’importance d’avoir un lieu phare qui éclaire les pensées. Il faut avouer que l’obscurité est plus acceptable car elle ne révèle aucun défaut. Je suis né avec l’art profondément ancré dans mon ADN. Je n’ai pas cherché à esquisser la base d’un nouveau buzz, ou encore à déclencher un nouveau débat. Il y a des spécialistes pour ça. J’ai simplement senti en tant qu’artiste que je devais apporter une réponse plastique à une question. A savoir, comment poser les bases saines d’une analyse sur le racisme croissant en France. On pourrait me dire que j’arrive après le combat. Après tout, il existe un mémorial en Guadeloupe ainsi qu’à Nantes. J’ai facilement accédé à l’un par le passé, cela me prendra plus de temps pour l’autre.

 

Créer un nouvel espace comme un outil contre les préjugés

 

Si l’on venait à m’interroger sur la nécessité d’ouvrir un nouveau lieu qui viendrait traiter ce thème, je répondrais justement qu’il faudrait en ouvrir un à Paris, l’une des capitales les plus visitées au monde. Tant que l’on ne comprendra pas que des populations souffrent de ce lourd héritage, la légitimité de la demande ne souffrira d’aucune explication. Un musée est un lieu d’échanges, de circulations, de débats, de reconnaissance et surtout un lieu dédié à la pédagogie. Si la France a besoin d’un musée pour expliquer à l’ensemble de la population ainsi qu’aux touristes que je bois autant qu’eux et pas forcément du Rhum, que je danse autant qu’eux et pas forcément sur du Zouk… en clair que nous sommes égaux à plus d’un titre… dans ce cas, ouvrons ce musée demain !

Certains designers, architectes et créateurs se bousculent en ce moment pour proposer leur vision de la future Notre-Dame de Paris. Vu les propositions, il est clair qu’un nombre incalculable de créatifs cherche à profiter de l’effet traumatique pour générer le buzz. On aurait souhaité avoir la même surenchère de projets sur un sujet historique et au combien polémique que l’esclavage et la traite négrière. Personnellement, je ne vais pas attendre que l’on réunisse 1 milliard pour me pencher sur la question de la nécessité d’un musée. J’ai déjà 1 milliard de raisons qui me poussent à créer chaque jour. Accorder un peu de temps à la plus sombre des périodes est plus qu’un exercice pour moi. Je ne m’attends à rien d’autre, si ce n’est des réactions néfastes comme on peut en lire dans les commentaires d’articles sur les réseaux sociaux.

 

Peu importe ce que vous voulez exprimer, tous vos dessins ont le droit d’exister

 

Nous passons une vie entière à nous poser des limites. Tous les prétextes sont bons pour ne rien faire. Alors j’agis tous les jours pour être force de propositions, quitte à échouer. Je n’ai pas pour habitude de communiquer sur mes échecs. Et pourtant, aujourd’hui, je vous montre la naissance d’une idée que l’on oubliera aussi vite que la thématique qu’elle aborde. En vous dévoilant ces esquisses j’ai souhaité vous adresser un message simple. Peu importe la teneur de l’idée qui vous traverse, vous devez la libérer. Saisir un crayon, annoter une phrase, la joindre à un dessin et la laisser murir. Les idées vont et viennent dans un balai incessant.

 

Cependant cette gymnastique ne prend sens que si vous concédez à coucher sur le papier les projets, quand bien même ils seraient dérangeants. Je ne suis pas architecte, cependant je n’attends pas d’en avoir la légitimité pour amener une idée sur le sujet. Je reste persuadé que chaque artiste peut et doit apporter sa contribution, de par son regard différent. Peut-être arriverons-nous à déboucher sur quelque chose de concret.

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