Patrick Peter est un photographe au parcours atypique qui pratique une activité où la photographie et la psychologie se rencontrent. Vous ne verrez pas de photos de son travail car celui-ci se fonde sur l’identité de chacun de ses clients et la relation qui se noue devient alors intime, pour ne pas dire discrète. Ce passionné d’images et de musique ne se limite pas à un domaine d’activités, il lui arrive de travailler régulièrement sur des mariages ou tout autre événement nécessitant la présence d’un photographe.
J’ai toujours été fasciné par la capacité de chacun à transformer sa vie au point de devenir quelqu’un d’autre. Le désir de certains d’entre nous est si fort qu’il nous pousse à modifier notre destin et à nous émanciper d’une trajectoire pour en embrasser une autre. Patrick Peter est devenu photographe à la seule force de sa volonté. Pas de parents artistes ou de support familial démesuré. C’est uniquement en se persuadant qu’il pourrait devenir cet autre, cet artiste qu’il a toujours rêvé d’être, qu’il a fabriqué son propre chemin pour accomplir une vision, la sienne. Il m’est arrivé de croiser bon nombre de personnalités talentueuses, surprenantes ou encore enrichissantes. Patrick Peter fait partie de ceux qui cumulent l’ensemble de ces qualités sans jamais en faire la promotion.
Aujourd’hui, je souhaite donner la parole à cet homme rare et discret qui participe à ce vivier que l’on écarte des médias traditionnels, mais qui constitue pourtant la force de ce pays. Celle qui se développe avec les créateurs et les professionnels qui enrichissent notre patrimoine, aussi bien avec leurs productions que leur savoir faire.
A partir de quel moment dans ta vie as-tu senti ce besoin de vouloir tout changer ?
Quand j’étais jeune, un ensemble d’événements m’a amené à m’orienter vers une carrière de militaire. Je me suis engagé tout naturellement, sans vraiment réfléchir aux conséquences que cela impliquait. Rapidement j’ai ressenti une sensation d’enfermement. Le contexte militaire est un ensemble de contraintes qui peut nuire à des gens qui ont un esprit comme le mien. J’essayais, au fur et à mesure des mois, de prendre cette étape comme un challenge.
J’ai pris sur moi autant que j’ai pu et pendant deux ans j’ai réussi mes classes et passé chaque épreuve avec succès. Néanmoins, je me sentais toujours trop limité dans mes mouvements. J’avais des passions enfouies au fond de moi qui ne demandaient qu’à être libérées, malgré moi.
Par exemple, j’avais toujours un petit magnétophone à coté de mon lit et quand je me réveillais à la suite d’un rêve musical, je chantonnais les airs en les enregistrant pour garder la trace des sonorités. Je me suis retrouvé au bout de quelques temps avec pas mal de cassettes. Malgré cette démarche, quand j’écoutais mes enregistrements, j’avais comme une sensation de platitude, parce que tout l’environnement musical qui m’était apparu en rêve n’était pas présent sur la bande. A cette époque, si j’avais pu brancher directement une prise jack sur ma tête ça m’aurait facilité les choses.
Après ces révélations musicales tu as décidé de quitter l’armée ?
Tout à fait. Au bout de deux ans je n’ai pas signé de contrat plus long. Comme je te l’ai dit, je rêvais de musique et de sonorités incroyables. Mais au réveil, peu m’importait les enregistrements, j’avais comme une frustration car je n’arrivais pas à retranscrire exactement ce à quoi j’avais été exposé. Plus le temps passait et plus le contexte militaire me mettait à l’écart de ces sons. La hiérarchie, le contexte, pour ne pas dire le formatage, m’empêchaient d’être réceptif à de nouvelles mélodies.
C’est pour cela qu’en arrêtant l’armée je me suis consacré à cent pour cent à l’interprétation de ce que j’avais entendu. Je me suis lancé corps et âme dans la musique. J’avais besoin de revenir à cet état qui me permettait d’écrire des chansons. Je me suis inscrit au conservatoire, sur Paris, à la Schola Cantorum. Je me suis dit que là-bas j’arriverais à avoir les outils pour exprimer correctement les visions que je pouvais avoir. Pendant quatre ans, j’ai appris à jouer du piano et à travailler sur la partition. J’étais surtout intéressé par le développement de l’écoute et la maîtrise du doigté musical.
A la fin de ton cursus as-tu réussi à exprimer cette personnalité qui dormait en toi ?
J’ai participé à beaucoup d’albums aussi bien dans l’écriture que dans le chant. J’avais besoin de me libérer de mon passé militaire. Et j’ai trouvé dans la musique un moyen d’expression adapté à l’état d’esprit dans lequel j’étais à cette époque.
J’aimerais revenir sur un point, car j’ai bien compris que tu avais des facilités avec la musique. Ceci dit, beaucoup de personnes ont cette faculté et ne deviennent pas musiciens pour autant. Comment peut-on passer si facilement d’un univers aussi hiérarchisé et encadré comme l’armée à un univers plus libre mais moins accessible comme celui de la musique ?
Avant l’armée j’ai fait de la chorale pendant 7 ans et pendant cette période militaire j’ai ressenti comme un énorme manque. C’est quelque chose qui était latent en moi, je ressentais comme une pression intérieure. J’avais juste besoin d’autre chose et en général ça se précise en fonction des événements que l’on traverse dans la vie. Ça prend forme à un moment donné, subitement, sans que l’on décide finalement.
Comment es-tu passé de la musique à la photographie ?
Pour moi la musique et l’image c’est un peu la même chose. J’ai cette impression que c’est la même fréquence et que les deux sont indissociables. De plus mon frère était photographe et j’avais utilisé quelque fois son appareil. Au final, je me suis aperçu que c’était un outil comme un autre qui me permettrait de m’exprimer aussi. C’est comme ça que la photographie est devenue une forme d’expression, au même titre que la musique.
T’es-tu plongé directement dans le métier ou as-tu effectué des stages ou des formations,
que ce soit en photographie ou en créativité ?
J’ai fait beaucoup de formations photos dans Paris, sur la prise de vue et autres. Par la suite, pour les mettre en pratique, j’ai commencé à faire des photos pour des amis, que ce soit des mariages, des anniversaires ou des événements festifs. Je n’avais pas pour objectif de faire de l’argent, le plus important c’était d’avoir l’opportunité de m’exprimer. Pendant cette période je me suis mis à tout photographier, j’étais gourmand d’images en tout genre. J’avais acheté plein de livres photo pour étudier toutes les techniques possibles. Je passais mes week-end à photographier aussi bien des paysages que des modèles amateurs.
Utilises-tu des outils particuliers qui rendraient ton art différent d’un autre ?
Je n’ai pas forcément d’outils concrets, j’essaie simplement de livrer un angle de vue qui traduirait ma façon de voir le monde.
Quel est ton matériel de prédilection (appareil, optique…), et pourquoi ?
Je travaille avec plusieurs appareils mais ma préférence va vers le Nikon D800 ainsi qu’un jeux d’optiques lumineuses. Je cherche à travailler le plus possible sans flash pour être au plus proche de la réalité.
Tu possèdes un studio, est-ce qu’au sein de celui-ci tu penses développer une approche particulière ?
Des stages ? Ou une activité qui ira plus loin que la traditionnelle prise de vue ?
Depuis très jeune je m’intéresse aux sciences humaines, alors je me suis dit pourquoi ne pas faire le lien avec la photographie. D’où l’idée de vouloir faire de la photothérapie. Pendant sept ans j’ai pris des cours du soir au CNAM. Cela m’a permis d’avoir une formation en psychologie du travail. J’étais tellement passionné par l’Homme que je me suis inscrit au cours ne serait-ce que pour comprendre certains mécanismes humains. A la suite de ça, je me suis inscrit dans une formation de psychothérapeute. Je l’ai suivie pendant trois ans au centre “ledôjô” sur Paris. Ce centre est tenu par Jane Turner et Bernard Hévin. Tout cela m’a permis de faire un lien avec la photo et d’exercer l’activité que j’ai aujourd’hui.
Est-ce qu’il t’arrive de mettre de la musique pour détendre tes modèles ?
Crois-tu que cela peut avoir une vraie influence sur leur comportement ou le tien ?
J’utilise de la musique en fonction du modèle et de ce qu’on veut faire ressortir. La musique doit s’adapter au contexte. Si c’est une photo qui doit exprimer du dynamisme, je mettrai une musique plus tonique. Si la photographie est plus posée, je mettrai alors une atmosphère plus adaptée avec une musique plus calme.
Est-ce qu’il y a un auteur, un courant artistique, un univers qui guide en particulier ton travail de commande
ou te laisses-tu guider par tes rencontres avec tes clients sans a-priori ?
Je me laisse guider par le quotidien et mes rencontres, mais je m’intéresse beaucoup aux photographies de certains auteurs russes. J’aime leur vision de la photo et la façon dont ils mettent en scène les sujets. Ils ont une vision assez picturale de la photo. On a cette impression d’être dans un tableau, que ce soit dans la lumière ou dans la mise en scène.
Dans un secteur aussi concurrentiel, comment arrives-tu à trouver ta place et par extension du travail ?
As-tu un réseau ou fais-tu partie d’un collectif d’auteurs ?
Je ne fais partie d’aucun collectif. J’ai le contact assez facile alors j’avoue que ça m’a beaucoup aidé à développer un réseau sur Paris. Cela me permet de travailler régulièrement sans difficulté, que ce soit en Ile-de-France ou ailleurs. De plus, grâce à mon passé musical, j’ai été amené à beaucoup travailler dans le milieu artistique. Le bouche à oreille faisant le reste j’ai pu couvrir de nombreux événements où, je dois l’admettre, les entrées ne s’obtiennent pas facilement.
L’humain est au coeur de ton travail, le souvenir, les émotions la perception de soi… comment, au final, peut-on faire preuve de créativité dans un milieu où 90% de ton image ne dépend pas de toi mais du modèle ?
J’ai tendance à voir quelque chose chez les modèles qu’elles ne perçoivent pas forcément. Je pense que j’ai un point de vue qui va au-delà des a-priori et des clichés. J’ai un imaginaire qui va assez loin donc je n’ai pas de difficulté à les faire poser en allant au-delà de l’image classique qu’elles renvoient.
Est-ce que l’on peut dire aujourd’hui que tu vis ton rêve ou te reste-t-il encore des choses à accomplir ?
Je suis sur le chemin de concrétiser mon rêve, mais il me reste encore beaucoup de choses à faire. Pour moi le rêve c’est de vivre de sa passion. A partir du moment où je le partage avec d’autres et que je le vis au quotidien, on peut dire en effet que je vis en partie mon rêve. Je me vois surtout sur un chemin d’épanouissement personnel et celui-ci il ne s’arrête jamais vraiment.
As-tu un avis sur la photographie actuellement en France ? Crois-tu que le secteur est en plein déclin ou à son apogée ?
Je pense que la photo connaît une période de changement. La photographie n’est plus un secteur privilégié pour les photographes. La photographie se banalise par l’intermédiaire des Smartphones, aujourd’hui elle est désacralisée. Je pense que ce n’est pas bénéfique, surtout pour le métier de photographe. Sinon, dans un autre point de vue, ça repousse les limites de la photographie traditionnelle. Ça remet en question la photographie, qu’est-ce qu’on peut faire de plus ? Que peut-on apporter de plus ? Quelle sera la photographie de demain ? Peut-être que demain la photographie sera holographique, est-ce que ça changera la perception de l’image ? Voilà le genre d’interrogations que je me pose en ce moment.
Que fais-tu quand tu ne photographies pas ? Es-tu tout aussi présent dans un autre secteur artistique ?
Disons que je reste dans le domaine photographique mais j’essaie de couvrir d’autres champs, de chercher de nouvelles pistes pour être toujours en activité. Sinon, quand je décroche complètement, je lis des ouvrages sur les sciences humaines.
Est-ce que le fait de développer d’autres aptitudes est nécessaire pour toi ?
Le ressens-tu comme une condition sinequanone à ton épanouissement créatif ?
Je suis toujours en activité ou en réflexion, je suis une sorte d’hyperactif donc il est logique pour moi d’avoir plusieurs activités en parallèle. Disons que tout ça pour moi c’est vraiment un comportement naturel, ce n’est pas une question que je me pose. J’agis tout simplement dans la continuité de mon état d’esprit. Je m’amuse à me faire rêver, alors pourquoi ne pas le partager. Peut-être qu’au fond nous partageons tous le même rêve.
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