Le Palais de Tokyo est clairement pour moi une énigme à lui seul dans le paysage de l’art contemporain. Que ce soit dans son architecture intérieure, « architecture de l’essentiel » paraît-il, autant que dans sa programmation, je ne m’y retrouve absolument pas. Il y a des endroits comme ça où peu importe ce qui s’y passe, ça ne vous procure aucun frisson, aucune surprise voire peu d’envie d’y retourner. Il y a plus d’une décennie, j’avais découvert l’endroit et j’admets volontiers que le fou rire était la seule chose que l’endroit avait pu déclencher chez moi. Des années plus tard et au passage une surface passée de 8 000m2 à 22 000m2, je me suis demandé si mon premier ressenti allait être différent. L’occasion s’est présentée à moi de m’y rendre, comme pour conjurer cette mauvaise sensation ressentie les premiers jours de son inauguration. Je m’y suis rendu en mettant de coté mon expérience, tout en me plaçant dans la peau d’une personne pas forcément spécialisée en art.
Dès l’entrée, on vous plonge dans une ambiance de gare désaffectée où différentes sculptures et œuvres d’art se côtoient pour vous faciliter l’immersion. L’endroit surprend toujours par son architecture car, pour rappel, le palais de Tokyo c’est deux bâtiments. Une aile accueille le centre d’art contemporain et l’autre le musée d’art moderne. Ce dernier se distingue par une architecture radicalement différente voire plus conventionnelle comme la majorité des musées. Des expositions ambitieuses et pointues se partagent une partie de l’immense espace dont la hauteur sous plafond suggère un potentiel sans équivalent. Les oeuvres de l’artiste Takis se calculent en mètres et y sont à leur aise. Elles donnent déjà une indéniable tonalité contemporaine au lieu.
Toutes les personnes qui habitent ou travaillent à proximité du parvis de la Défense connaissent l’œuvre sans pour autant connaître l’artiste. Pourtant, Takis a surement l’une des œuvres les plus photographiées de la périphérie parisienne. Une de ses installations est placée en bout de parvis au sein d’un bassin, dans l’alignement de l’arche de la Défense d’un coté et de l’arc de triomphe de l’autre. Ses œuvres viennent ainsi donner un peu de poésie à ce quartier où le béton est roi. D’autres pièces se retrouvent aussi de l’autre coté de l’arche de la Défense mais peu de gens s’y attardent vraiment.
Voici la vue que vous avez depuis le parvis de la Défense face au bassin qui accueille l’installation de l’artiste.
Pour revenir à l’exposition, elle présente de nombreuses pièces dans un ensemble lumineux et assez spacieux pour prendre de la distance par rapport aux œuvres. Celle qui, à mon humble avis, obtenait le plus de suffrage est sans contexte cet ensemble constitué de plusieurs panneaux blancs sur lesquels un jeu magnétique venait libérer des sons et transformait ainsi l’installation en piano géant. Face à celle-ci un petit amphithéâtre invitait à la contemplation autant qu’à la méditation. Si cette exposition proposait des œuvres de qualité et un hommage à la hauteur de l’artiste, sans audio-guide il est clair que vous la ferez en moins d’un quart heure. Juste le temps pour vous de faire le tour des oeuvres et de passer à autre chose.
Je n’ai pas eu l’impression dans cette exposition d’être en présence d’un personnage majeur de l’art contemporain et je ne suis pas convaincu qu’un jeu d’aimants puisse facilement provoquer l’intérêt d’un public non initié. En navigant dans le musée, j’ai donc évolué d’une salle à une autre et c’est ainsi que mon parcours m’a amené au sein d’une autre exposition :
L’usage des formes
De mémoire, je ne me suis jamais autant senti mal à l’aise face à un ensemble de pièces. Non pas que celles-ci mettaient en scène des images obscènes. Ici l’obscénité est plutôt à chercher du coté intellectuel, car je n’ai toujours pas compris si on voulait marquer une frontière intellectuelle ou si l’on voulait parodier l’art contemporain. Tout ce que j’ai vu ne m’a même pas poussé à sortir mon appareil photo pour vous ramener une image inspirante. Si vous êtes curieux, de nombreux articles circulent sur internet et une vidéo présente le vernissage. J’ai bien consulté des documents et vidéos après avoir fait cette exposition. Pourtant rien de ce que j’ai vu et lu ne m’a convaincu. Dans cette salle, seuls les enfants semblaient y trouver leur compte et brulaient d’envie de toucher tout ce qu’ils voyaient. J’ai une pensée pour cette petite fille qui touchait une œuvre en pensant la comprendre un peu plus. C’était sans compter les nombreux vigiles qui sont là et veillent à bien vous faire comprendre qu’il ne faut toucher à rien.
On aurait préféré voir et entendre des médiateurs pour capter un semblant d’explications sur un ensemble d’œuvres dont les détournements parfois trop faciles viennent au final brouiller et désintéresser le spectateur… L’avantage d’une exposition comme celle-ci c’est qu’elle vous initie à une chose : votre capacité d’appréciation et vos limites en terme d’adhésion aux concepts artistiques. Outre le fait que je n’accrochais à rien de ce que je voyais, je me suis mis à la place de ceux qui cherchent à apprendre. Je doute qu’ils ne feront pas comme moi ce jour-là. C’est-à-dire passer à l’exposition suivante, sans chercher à en savoir plus sur cette hache à deux manches…
le bord des mondes
Suivant le cheminement naturel du musée, j’ai continué ma visite par l’exposition « le bord des mondes ». L’exposition s’ouvre sur une salle présentant des pierres en équilibre… à partir de ce moment-là votre cerveau ne s’attend plus vraiment à prendre au sérieux tout ce qui viendrait à suivre. Et commencer une exposition par quelque chose qui vous détache à ce point de ce que vous voyez n’est pas la manière la plus pédagogique pour entreprendre une discussion sur les arts.
Mon interrogation au sujet de cette exposition est simple. Après avoir fait la foire de Paris la semaine dernière, j’ai eu l’impression d’y être encore. Difficile de voir la différence, que ce soit vis-à-vis des gadgets loufoques qui avaient d’ailleurs bénéficié à l’époque d’une expo plus complète à porte de Versailles, ou encore les coiffures « ladygagesque » exposées comme des œuvres d’arts premier dans une obscurité partielle. Et enfin la présentation de la « sape africaine » que toute personne ayant arpenté le 18ème arrondissement a pu rencontrer. J’ai dû me frotter les yeux à deux fois pour être sûr d’être au musée. Si le thème de l’exposition jouait avec l’ambiguïté de la reconnaissance d’une œuvre d’art ou non, j’ai surtout pensé que cette exposition n’était pas à la hauteur en terme de scénographie et de placement des pièces.
En tout cas, face à ce foisonnement de curiosités, les visiteurs se sont réfugiés dans le sport international qu’est le « selfisme ». Parce qu’au cas où vous ne l’auriez pas remarqué certains musées sont devenus en fait des décorums de choix pour ceux qui n’ont de cesse de se prendre en photo. Pas sûr qu’ils se souviennent du nom de l’artiste ou de sa démarche, car au final ce qui compte c’est le nombre de likes que suscitera l’image, non ?
En apercevant la vidéo « des sapeurs », je ne sais pas pourquoi mais au fond de moi j’ai prié pour ne pas voir un clip de Magic System érigé au statut d’art vidéo. Mais c’est avec soulagement que, la frayeur passée, je me suis laissé surprendre une fois de plus par le potentiel architectural du lieu. Il m’est d’avis qu’il mériterait quelque chose de surprenant dans le bon sens du terme. Loin des pierres en équilibre et de tout ce qu’il est si courant de voir dans les centres d’art contemporain.
En fait, depuis l’ouverture de ce musée, j’ai comme le sentiment d’y voir une exploitation à outrance du lieu à l’état brut et cela dans tous les sens du terme. La prochaine fois que j’y retourne, j’y rentrerai avec des posters Ikea et je ferai l’expérience du contexte, comme ce fut le cas dans une célèbre vidéo. Car le souci d’après moi est là. A partir du moment où un objet rentre dans le palais de Tokyo, il est automatiquement validé par des hautes instances (et une caste?) qui définissent ce qu’est l’art contemporain. Je ne suis même pas certain aujourd’hui que cela serve un artiste d’y être exposé, finalement. L’objectif de l’exposition du bord des mondes était de présenter des œuvres qui ne sont pas identifiées clairement comme des oeuvres d’art et de démontrer que les frontières sont trop fines pour cloisonner une invention d’une création artistique. Le texte de présentation de l’expo, lui, est plus précis et c’est déjà là que réside une partie du problème. Voici un extrait de la présentation de l’expo :
A la lisière de l’art et de l’invention, l’exposition fait voler en éclats les frontières entre les mondes, entre territoire artistique identifié et mondes parallèles absents du système de l’art, en explorant le fécond précipice qui peut les unir.
L’exposition fait « voler en éclats », je ne l’ai pas vraiment ressenti comme ça. Si encore cette femme androïde avait engagé une discussion sur l’art avec moi, ou encore si elle s’était mise à peindre, j’aurais noté une véritable démarche de discussion sur ces fameuses frontières. Quand on sait que les japonais préfèrent travailler sur la création de robots pour palier à leur déficit de population plutôt que de réfléchir à la possibilité d’une immigration contrôlée, cette femme qui peut parfaitement imiter des réactions humaines n’a plus vraiment la même portée symbolique. Et pour être passionné par le sujet, je peux vous assurer qu’en matière de création robotique, il y a le choix au Japon.
Tout au long de cette exposition, je n’ai pas eu l’impression que l’on vous propose de réfléchir ou d’interagir avec les œuvres. On vous les présente en vous sommant de les comprendre et d’apprécier. L’espace gigantesque de ce musée mériterait pourtant d’accueillir tout ce qui se fait de mieux actuellement. Ce n’est pas comme si les plus belles pièces des FRAC avaient disparu. J’irais même jusqu’à dire qu’en voulant imiter la notion de friche et d’y appliquer un vernis d’expositions trop cadrées, on passe à côté de l’esprit de recherche qui existe en art contemporain.
Faut-il y voir maintenant la faiblesse des moyens d’achat de l’état français qui pourrait à peine s’offrir un artiste majeur du 21ème siècle ? Mon point de vue pourrait paraître tranché, mais il ne faut pas oublier que nous sommes assiégés d’oeuvres d’art. Peu importe leurs natures et leurs qualités aussi bien historiques qu’esthétiques mais dans Paris et en proche banlieue nous sommes peut-être trop gâtés. Si vous faites un parcours comprenant une sainte trinité artistique, avec par exemple un passage sur le parvis de la Défense, un autre aux jardins des tuileries en finissant par un squat d’artiste ou une friche dévouée au street-art, que restera-t-il de contemporain à ce musée… ?
Le seul moment où je me suis à demi émerveillé c’est en approchant une œuvre de Theo Jensen. Depuis le temps que je voyais les vidéos de ces machines poussées au gré du vent, voir une de ces œuvres était pour moi « le » cadeau. D’ailleurs, le vrai problème avec des pièces comme celle-là, c’est qu’elle décrédibilise à mon avis beaucoup d’autres qui paraissent pour le coup pas assez spectaculaires.
Je n’ai toujours pas compris si le musée était une salle des fêtes parisienne ou un espace de location expérimental. C’est toujours en cours de réflexion, cependant cet endroit peut générer un esprit de contradiction dans la tête de ceux qui s’y rendent. Une sorte d’amour-répulsion qui vous poussera peut-être à y aller une fois par an comme pour le dentiste. C’est une étape douloureuse mais nécessaire, afin de confirmer ce que vous savez déjà. L’art contemporain restera une énigme tant que l’on ne fera pas l’effort de le rendre le plus accessible possible. Tout le monde n’a pas l’envie de l’aborder en ayant fait des années d’études pour en percevoir toutes les subtilités.
les oeuvres « art contemporain » sont souvent des produits artificiels montés de toutes pièces par les tenants du financial art ! alors pour le frisson et l’émotion, on peut toujours courir
Point de vue d’@stylist2022 sur le @PalaisdeTokyo, à lire : http://t.co/kOOt6I0WY6 #artcontemporain