L’Intelligence Artificielle est sur beaucoup de lèvres actuellement. Et de toute évidence, la technologie inquiète autant qu’elle stimule les appétits. À titre informatif, sachez que le marché mondial de l’intelligence artificielle devrait atteindre 43,29 milliards de dollars d’ici 2026… Toutefois, il ne faut pas se leurrer. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les intentions sont loin d’être claires. Car si l’argent reste le moteur de cette nouvelle économie, ses implications vont bien plus loin qu’on ne le croit.
Aussi, pour aborder l’intelligence artificielle que l’on nomme IA pour faire court, je vous propose de me suivre dans un texte long mais nécessaire. On parle ici de technologie et d’enjeux humains. Dans ces conditions, il m’est impossible de parler de tout cela en trois paragraphes.
Un concours comme détonateur
À première vue, c’est le résultat d’un concours qui a déclenché un véritable tsunami dans le monde de la création. Aux Etats-Unis, « un artiste » aurait utilisé une intelligence artificielle et surtout remporté un prix grâce à elle. C’est sans surprise que l’annonce du résultat a fait le tour du monde. Si bien qu’en France, dans une émission TV, un journaliste a diffusé l’info ainsi : « L’artiste a tapé quelques mots clés et hop le logiciel a généré une oeuvre d’art. » Il faut souligner que cette information a été relayée partout de la même manière. Alors, comme on pouvait s’y attendre, le buzz a fait le reste. Et plus d’un professionnel a réagi farouchement à cette annonce.
« L’auteur » a tenté de s’expliquer vis-à-vis des images engagées dans le concours. L’information tronquée avait déjà fait pencher la balance, et la sentence fut irrévocable. En conséquence, l’auteur a été jugé coupable d’usurpation d’identité par la communauté artistique. Puisque nul artiste qui se respecte n’utilise une IA. On peut débattre de ce point de vue. Dans les faits, ce précédent va créer une vague d’indignation qui va cristalliser l’utilisation des IA dans l’unique champ des arts graphiques.
Théâtre d’opéra Spatial, de Jason M. Allen
Une intelligence ou des intelligences artificielles ?
Avant toute chose, il serait plus juste de parler des intelligences artificielles. Tout comme il faudrait préciser que l’on parle d’applications qui utilisent majoritairement une forme d’intelligence artificielle, avec une méthode particulière. Tout d’abord, il y a d’un côté une intelligence artificielle dite faible qui est utilisée dans différentes applications artistiques. Et de l’autre, une intelligence artificielle dite forte qui est exploitée dans des domaines plus techniques. Pour le reste, il ne sert à rien de faire un exposé sur les spécificités de chacune. Il y a dès maintenant une seule chose à mémoriser. C’est qu’il y a de grandes chances pour que vous soyez déjà un utilisateur d’intelligence artificielle. Et cela sans même vous en rendre compte. C’est pourquoi je pense que les artistes devraient avant tout bien s’informer. Cela leur permettrait de comprendre l’étendue des domaines touchés autant que la complexité des intelligences artificielles.
D’autant plus que les applications exploitant des IA et des bases de données vont se multiplier. Voici un exemple simple : un logiciel de reconnaissance faciale utilisant une intelligence artificielle peut exploiter plusieurs milliards d’images aujourd’hui. D’après certaines sources, il est question de créer une base de données avec au moins 100 milliards d’images dans un très proche avenir. Alors que pour le moment, nous avons un exemple de base de données accessible sous le nom de LAION-5B . Celle-ci sert de base aux applications du type Lensa. Elle se contente de 5.850 millions d’images… pour le moment.
Un nouvel El Dorado pour les Start Up ?
Par conséquent, tout le monde veut sa part du gâteau. Pour s’en convaincre, il suffit de voir le nombre d’entreprises qui se lancent dans l’aventure. À l’image du réseau social Tik tok qui a lancé une IA assez basique sur l’appli. D’autres ont depuis longtemps envisager l’Intelligence Artificielle comme une future source de revenus. C’est pour cela que beaucoup se sont lancés dans cette aventure sans vraiment savoir sur quoi tout cela allait aboutir. D’après une source dans le milieu de la tech, les applications liées au divertissement seraient un heureux hasard. Pour le dire autrement : une sorte de découverte collatérale au reste.
Pour ce qui est du secteur des arts appliqués, le nombre d’applications utilisant une IA est en forte croissance. Notamment celles qui permettent de créer des images à finalité artistique. Dream, Mid Journey, Stable Diffusion, Lensa… chaque trimestre une nouvelle application semble apparaître. Malgré tout, souvenez-vous que derrière toute cette industrie du divertissement, il y a aussi d’autres enjeux. Comme par exemple, la constitution de la base de données la plus efficace. Ne croyez pas un seul instant que toutes les images générées pour s’amuser ne vont pas servir d’autres objectifs.
De plus, si le nombre de Start Up est actuellement en croissance, c’est parce que cela est corrélé avec le volume de données. Autrement dit, plus il y aura de données (sur nous) et plus il y aura de créations d’entreprises. Pour rappel, c’est une pratique que nous connaissons bien en France depuis longtemps. Et pour cause, les industries culturelles sont en pleine mutation. Ainsi, pour les accompagner il n’y a pas un mois sans qu’une nouvelle application nous promette monts et merveilles. Les ventes d’oeuvres d’art en ligne en sont un parfait exemple.
Une course effrénée sans contrôle et sans objectifs clairs
Les logiciels utilisant l’intelligence artificielle vont avec le temps fournir des images de plus en plus précises, léchées et bluffantes. Cependant, au-delà des questions évidentes de propriété intellectuelle, il y a toujours cette grande interrogation ? Quel est l’objectif de tout cela ? Que cherchent réellement tous ces développeurs ? Pourquoi diable chercher à vouloir remplacer des artistes alors que l’on sait pertinemment le rôle essentiel de l’art dans nos vies. Puisque tout être humain cherche au travers de l’art à laisser un témoignage. C’est-à-dire laisser une empreinte faible ou forte de son passage sur Terre afin de raconter une histoire.
L’intelligence artificielle me semble conter un tout autre récit, bien connu des lecteurs de science-fiction. Et celui-ci parle de contrôle, de pouvoir et d’égocentrisme. Si dans un contexte industriel l’IA a démontré un intérêt sans équivoque, sur le plan humain elle témoigne de bien d’autres choses. Une intelligence artificielle ne fonctionne que par le biais de ce qu’on lui donne. N’oubliez jamais cette notion, elle est importante ici comme ailleurs. Si vous supprimez tous les artistes vivants de la base de données, les images produites n’auront jamais la même tonalité. Et n’allez pas imaginer qu’une IA ne vous souhaite que du bien. Car les biais psychologiques humains sont bien présents au sein des applications.
Des biais psychologiques présents et dérangeants
Une intelligence artificielle ne tombe pas du ciel. Et elle ne se développe pas sans intervention humaine. Je ne vais pas dévier du secteur des arts dans cet article. Néanmoins, gardez en tête que même des problèmes sociétaux peuvent se retranscrire dans le développement des IA. Ainsi, dans le domaine de la reconnaissance faciale, cela amène à des erreurs judiciaires. Tout comme des désagréments aux connotations racistes dans le cadre d’enquêtes. Ou bien encore des problématiques de recrutement liées à votre aspect physique. Je peux comprendre que ces considérations intéressent peu de monde. Malgré tout, elles démontrent des failles qui ne sont que le sommet de l’iceberg sur le plan sociétal.
De nombreux articles existent sur le sujet, et dépeignent comment des biais psychologiques sont devenus des « biais algorythmiques » au sein des applications utilisant des IA. Pour s’en convaincre, observez cet exemple explicite décrit en détails dans un article, en cliquant ici. Une femme y raconte son expérience lorsqu’elle a essayé de créer son avatar avec l’application Lensa. L’application l’a très souvent représentée comme dénudée et hypersexualisée. Alors que ces collègues ont été transformés en Astronautes ou autres figures valorisantes… Des personnes résidants en Asie pourraient aborder un tout autre chapitre sur le plan politique. Mais ceci est une autre et très complexe histoire.
Exemple d’images générées par l’IA
Voici un extrait de son récit :
« Je suis une femme d’origine asiatique et j’ai l’impression que c’est la seule chose que le modèle d’IA ait retenu de mes selfies. Les images que j’ai obtenues ont clairement été modelées à partir de personnages d’anime ou de jeux vidéo voire même de porno étant donné la part importante de mes avatars qui étaient nus ou très légèrement vêtus. »
L’illusion du statut de créatif
La grande mystification derrière les logiciels utilisant une Intelligence Artificielle réside dans la croyance qu’elle véhicule chez ses utilisateurs. Elle leur donne un contrôle sur des mots pour générer une image. Par la suite, vous pouvez à nouveau intervenir via des options sur l’image. C’est pour cela que les utilisateurs ont la sensation de contrôler un processus et d’être l’unique propriétaire du résultat. Ce sentiment est accentué à cause des nombreuses variations que vous faites. Plus vous passez du temps sur ce que vous produisez, et plus vous avez l’impression de l’avoir créé. Alors que dans les faits, ceux qui utilisent les mêmes « prompts » que vous vont générer une image très proche de la vôtre. De plus, votre résultat alimente lui aussi la machine. C’est comme cela qu’on se retrouve avec une intelligence artificielle qui apprend autant en aspirant du contenu qu’en le délivrant.
Malheureusement, il n’y a pas encore de possibilité pour le grand public d’intégrer son identité artistique dans une application utilisant une IA. Vous pouvez lui donner l’une de vos créations, mais vous n’avez aucun contrôle sur le niveau d’interprétation de votre oeuvre par la machine. Rappelez-vous qu’à la base une IA apprend avec ce que l’on lui donne. C’est pour cela que jusqu’à présent on la nourrit avec tout sauf ce qui vous définit en tant qu’artiste. Si vous considérez que votre personnalité artistique peut se résumer à la formule : « High Definition, 4K, UltraHD, Architecture, Moebius, Druillet, People in a ball room Art Nouveau Style » c’est que vous n’avez pas compris le sens même du mot artiste.
Des professionnels séduits par l’idée aujourd’hui … mais pour combien de temps ?
Sur Instagram, je me suis permis d’intervenir sur la publication d’un Concept Designer très connu à Hollywood. Celui-ci s’enthousiasmait de ces créations modifiées par l’IA. Très rapidement les commentaires se sont multipliés et beaucoup l’ont interpellé sur l’intérêt de cet outil pour un Designer aussi créatif que lui. Dans l’une de ses réponses, il a fait un parallèle intéressant avec la photo. Cet exemple revient souvent dans le débat. Dans son commentaire, il pose la question suivante :
« What mostly keeps me awake at night is the question how much a photographer
owns a photo of a car that he has not designed. Thoughts ? »
À la lecture de sa question, je me suis permis de lui répondre ceci : « Je pense qu’un photographe ne possède rien. Il révèle sa personnalité avec des outils. Comme des appareils photos, des lumières, des accessoires et bien d’autres choses. De plus, le photographe utilise ses connaissances pour ajouter autre chose. Comme la bonne vitesse d’obturation, le bon angle… Et donc à la fin, le photographe nous montre comment il voit et matérialise un concept ou bien une situation. Mais au final, c’est plus une question de personnalité et de sensibilité qu’un patch de nombreuses oeuvres réalisées par différents créateurs. Donc pour moi, le photographe ne possède qu’une chose : sa vision artistique. »
Et je pense que tous les utilisateurs de logiciels d’IA passent à coté du plus important. À savoir que ce sont des efforts intellectuels réalisés sur des années qui nous permettent de développer une identité artistique. Et sûrement pas un ensemble de mots clés alignés dans le bon sens. C’est la fameuse notion de voyage qui prend le pas sur la destination. L’artiste ne peut pas se construire par le biais de raccourcis technologiques. Sinon c’est la fin des savoirs faire, et par extension des connaissances liées à une pratique.
Les utilisateurs d’applications à base d’IA sont ils des créateurs ?
La majorité des utilisateurs d’IA se définissent avant tout comme des créateurs. Ce qui en soi peut se comprendre. Puisque l’utilisation des IA dans un cadre précis peut effectivement vous donner une direction. Pour autant, chercher à produire du contenu pour l’exploiter commercialement devrait pousser de multiples interrogations. Et notamment sur le pourcentage d’utilisation du travail des autres lorsqu’il est intégré à votre production.
Nous savons aujourd’hui que certaines applications sont plus performantes que d’autres. C’est-à-dire que dans certaines situations, vos mots clés peuvent générer un rendu qui est très peu modifié. Et dans ce cas, on parle d’une illustration qui ressemble à 90% à l’image dont elle est censée s’inspirer. Oui vous avez bien lu, dans certains résultats, on retrouve l’image originale qui sert de base à la création. Et il arrive qu’elle ne soit pas très éloignée de ce que propose l’intelligence artificielle. C’est pourquoi, on ne le répètera jamais assez, mais disons-le à nouveau : ce n’est pas le résultat d’une création qui fait l’artiste, mais toute la démarche et les procédés mis en place pour générer une œuvre.
L’intelligence Artificielle va s’imposer comme un outil de prédilection d’une génération
Les aspirants créatifs et des nouveaux artistes sont persuadés que l’utilisation de l’IA dans leur processus créatif est une bonne chose. Pire, certains comparent cette pratique à l’utilisation de tableaux d’inspirations (Mood boards) comme on peut en voir sur le site Pinterest. Alors parlons-en deux minutes de Pinterest. Ce site démontre surtout que beaucoup trop de créateurs y passent beaucoup trop de temps. D’ailleurs, le site a une indéniable qualité, celle de pouvoir trouver des similitudes entre les images. Voilà pourquoi, dès les premières vignettes, on constate que certaines illustrations sont dessinées directement à partir d’autres…
Derrière de nombreuses innovations se cache l’illusion de la facilité et du confort d’utilisation. Prenez à nouveau l’exemple de la photographie. La qualité des appareils et des préréglages vous donne la sensation d’être un véritable photographe professionnel. Combien de fois n’ai-je vu des vidéos avec une qualité proche de celle d’un film. N’est-ce pas d’ailleurs l’argument phare des fabricants de smartphone ? Ils vous font croire que l’on peut se transformer en Steven Spielberg avec un concentré de technologies qui tient dans la poche. Puis, vient la nuit, et la réalité des capteurs de smartphone dévoilent leur nature… Et face à une image « bruitée », on réalise que ce ne sont que des jouets pour adultes, rien de plus.
Des milliers d’utilisateurs mais combien de professionnels ?
On n’a jamais eu autant d’utilisateurs d’appareils capables de prendre des photos dans le monde. On a même déjà uploadé plus d’une fois l’équivalent de toutes les pellicules développées depuis l’invention de la photographie. Et pourtant, les droits relatifs à l’exploitation d’une image sont méconnus. Il y a encore des gens qui pensent pouvoir vendre des photos de la tour Eiffel quand elle est éclairée la nuit… La majorité des utilisateurs ne sait pas régler une sensibilité en Iso en fonction d’une situation. Le choix des optiques ou encore la qualité des cadrages font partie de la longue liste des lacunes des utilisateurs. Il y a de quoi dire, rire et pleurer tant les utilisateurs se voilent la face.
Je ne parle même pas de ceux qui ne comprennent pas le concept de Méga octets lors d’envois d’images par smartphone ou par mail. On a tous une connaissance qui a essayé de nous envoyer un mail avec 400 Mo d’images. Pour moi, c’est aussi risible que ceux qui découvrent les temps de transferts de données avec des périphériques inadaptés. Et c’est exactement ce qui va se passer avec les intelligences artificielles. Tout le monde va les utiliser en masse pour tout et n’importe quoi. Jusqu’au jour où l’on s’apercevra que personne ne savait vraiment ce qu’il faisait.
Quels sont les dangers de l’intelligence artificielle dans le domaine des arts ?
Si actuellement de nombreux artistes tentent d’interpeller l’opinion publique c’est pour une raison simple. Il y a deux camps qui s’affrontent depuis fort longtemps. Le premier est celui des artistes qui demandent une véritable reconnaissance de leur statut, et par extension de leur métier. Alors que d’un autre coté, il y a des Start Ups qui souhaitent tout Ubériser. Pour exemple, la Start Up Meero qui dès sa sortie a créé la hausse de ton des photographes qui ne comprenaient pas cette Ubérisation de leur métier. Des années (et une levée de fonds record) plus tard, la Start Up se réorganise et réoriente sa stratégie… Alors, dans un contexte où la précarité est croissante dans le secteur artistique tout cela devient inacceptable. Entendons nous bien, ce n’est pas tant une technologie qui est crainte que l’utilisation qui en sera faite par des pans entiers de l’industrie.
Je vais tenter d’éclairer rapidement ceux qui sont las de me lire. Et contrer l’argument qui vise à faire passer les artistes pour des réfractaires au progrès. Pour cela, je vais prendre un exemple qui n’a rien à voir avec les arts, mais qui permettra à tout le monde d’accorder son violon comme on dit. Personne n’est contre l’idée de se faire livrer de la nourriture. Par contre, tout le monde conteste une situation qui met en danger des individus en les considérant comme des esclaves modernes. Voilà, c’était un exemple simple et rapide pour vous maintenir éveillés pour la suite de ma démonstration.
Des témoignages alarmants et éclairants qui se multiplient
Dans une récente interview américaine, une Concept Artist professionnelle indiquait avoir déjà perdu des « jobs » dans l’industrie. Elle raconte que des sociétés ont décidé de se passer de créateurs, en utilisant une intelligence artificielle en lieu et place d’un Concept Artist. Ce qui en soi est très problématique ici, c’est que l’on nous informe que des entreprises sont en train d’emboiter le pas. Cela va donc générer plus d’attention et d’actions de la part des créateurs d’applications pour qui supplanter des artistes va devenir un challenge.
Cette action est vaine, mais il n’empêche que tout ceci crée des précédents. Pour rappel, l’industrie du cinéma d’animation cherche en permanence des outils qui permettent de gagner du temps. Si on leur fournit une intelligence artificielle qui génère des résultats plus vite et moins chers, nous savons tous comment cela pourrait se terminer.
Les utilisateurs d’intelligence artificielle ne seront pas épargnés face au vol d’images
Concernant les images générées par des logiciels usant des IA, de nouveaux problèmes s’adjoindront de manière rapide. Dès à présent, on peut constater que des images créées par des IA sont plagiées, ou bien encore revendiquées par d’autres afin d’être vendues comme NFT. Ce qui va être intéressant c’est comment, dans l’avenir, des utilisateurs vont essayer de clamer des droits sur des images basées sur d’autres productions. Actuellement, des utilisateurs tentent de déposer des copyrights sur leurs images. Pour autant, la pratique étant encore jeune, les réponses sont loin d’être claires et applicables au monde entier.
Des prises de position de plus en plus nombreuses et radicales
Le nombre d’interactions au travers les réseaux sociaux qui traitent de l’IA est devenu conséquent. Aussi, il me parait important d’en citer au moins une qui démontre comment de nombreux artistes se sentent concernés. Quand bien même ils ne seraient pas directement touchés, comme dans le tweet ci-dessous. Un auteur interpelle sa communauté sur l’ensemble des artistes qui ont été utilisés pour entrainer l’intelligence artificielle sans leur accord. Le post est en lui-même assez édifiant pour se passer de commentaires.
Before I go to bed, I wanted to say this. I love the art community deeply. When AI artists steal/co-opt art from us I don’t just see art, I see people, mentors and friends. I don’t expect you to understand. #artcommunity #aiart pic.twitter.com/5z77aqI3aK
— Jon Lam #CreateDontScrape (@JonLamArt) December 5, 2022
La multiplication de l’apparition du logo ci-dessus sur le site Art Station est à l’image du tollé provoqué par la multiplication des images créées à base d’IA. Un communiqué a été publié par les responsables du site. Malgré cela, les artistes estiment la position d’Artstation comme étant encore trop molle sur le sujet. Donc, il faudra attendre encore un peu, car la situation évolue toutes les 24h sur ce thème.
Protecting Artists from AI Technologies
The Concept Art Association a pour sa part pris une position simple et efficace. En cliquant sur le lien suivant « support human artist » vous pouvez voir l’ensemble des actions qui seront entreprises en fonction du montant des dons reçus. En l’espace de quelques jours, les dons collectés ont permis d’atteindre la somme de 126 000 dollars sur un objectif de 250 000. Ce chiffre ne sort pas de nulle part, il correspond à des actions ciblées et tarifées, présentées dans le lien du GoFundMe. Cela permet de prendre conscience d’une réalité, à savoir que les artistes professionnels américains s’organisent vite. Et ces derniers ne vont pas attendre de voir leur activité s’effondrer sans démontrer qu’ils peuvent et qu’ils doivent avoir un rôle à jouer dans toute cette agitation.
Tous les secteurs seront impactés et le monde du Cinéma n’y échappera pas
L’industrie du cinéma explore plusieurs voies autour de l’intelligence artificielle. C’est à dire qu’elle ne se contente pas de la voir uniquement sous la forme d’un outil. Au-delà du potentiel scénaristique, il y a un intérêt croissant autour des nombreux outils techniques nécessaires à la faire fonctionner. Le film Forever, par exemple, a exploité la technologie LIDAR des véhicules autonomes pour générer son identité graphique.
De plus, dans un article très intéressant (disponible en cliquant ici) on apprend qu’une Start-Up travaille depuis 2019 sur un projet d’IA adaptée au monde du cinéma. Je vais me permettre de publier un extrait. Pour le reste, allez le lire. Vous serez surpris…
« Sans révéler les chiffres précis, le PDG l’affirme : des centaines de producteurs utilisent aujourd’hui son intelligence artificielle et en un an, environ 1 000 projets sont passés sous son analyse. C’est le cas par exemple du projet de film de Francisco Hervé, un producteur chilien, impressionné par le dispositif, qui juge « extraordinaire un ordinateur qui parle de votre projet ». L’intelligence artificielle a par exemple donné des chiffres pour savoir si l’acteur choisi correspond au personnage… «
Vers des automatisations de productions artistiques en masse
Au-delà des castings, les cinéphiles vont bientôt se retrouver à discuter d’un film où aucun scénariste n’aura été impliqué. À quoi bon prendre quelqu’un pour écrire un scénario ? Si on peut générer un script avec des lieux et des noms d’acteurs. Aujourd’hui déjà, on critique des films qui se ressemblent. L’acteur Liam Nielsen est lui-même sous les feux de ce type de critiques. Et pour cause, son personnage revanchard est redondant malgré la variété de ses films.
Bientôt, il suffira d’inscrire dans une appli Liam Nielsen, kidnapping, Europe, enfant, et 4K. Par la suite, une intelligence artificielle vous « délivrera» Taken 5, en cross over avec Fast and Furious 22. On y verra l’enfant de Vin Diesel enlevé par des terroristes, dans un train, en Italie. Il contactera Liam Nielsen le grand-père caché retraité de la CIA pour retrouver l’enfant prodigue. À tous ceux qui pensent que j’exagère, observez bien comment il est possible d’écrire des articles automatiquement avec des logiciels en ligne. C’est effrayant ! Il est possible de laisser une appli rédiger à votre place des scénarios, des articles, des essais… Les prospectivistes parlent déjà de la fin des métiers d’écriture liés aux oeuvres non fictionnelles.
Le secteur de l’édition veut aussi sa part d’intelligence artificielle
Maintenant, imaginez qu’une maison d’édition décide de publier un ouvrage dans le style d’un auteur disparu. Grâce à l’intelligence artificielle, rien de plus simple. Il suffit d’alimenter une base de données qui va servir à l’apprentissage d’un style graphique. Et comme cela a déjà été fait pour une peinture de Rembrandt, on applique la même méthode à un auteur japonais. En l’occurence ici c’est Ozamu Tezuka que l’on remet au goût du jour, si je puis dire. Quand je vois le nombre d’illustrations dans la base de donnée de LAION-5B, je me dis que l’on pourrait avoir un prochain Moebius plus rapidement que prévu…
Nous pouvons aussi prendre le cas de l’envoi d’un dossier de BD à un éditeur. Dites-vous qu’il pourra, comme ça arrive souvent, vous dire non. Et par la suite, intégrer votre style graphique dans une application pour y adjoindre l’histoire qu’il souhaite. Si cet exemple vous semble improbable, je vous propose de vous intéresser à l’édition jeunesse. C’est un secteur au sein duquel les auteurs ne sont pas à la fête. De plus, les rémunérations y sont plus basses que dans le secteur de la BD traditionnelle. Donc, si demain un éditeur veut se lancer un nouveau défi, il peut parfaitement proposer des textes de contes classiques pour enfants à une AI, et voir ce qui se passe. Bien évidemment, sans oublier le nom de l’auteur qui est au top des ventes dans le milieu.
En définitive, les éditeurs vont peut-être dans un proche avenir réorienter une partie de leurs commandes sur l’intelligence artificielle. Ils pourront mettre le résumé d’un livre dans une application et sélectionneront une des 20 ou 50 images générées pour la couverture. Quand bien même cela serait un véritable échec tant sur le plan professionnel qu’intellectuel. En effet, on pourrait se demander qui aurait intérêt à encourager cette pratique ? Dans la mesure où l’appauvrissement des processus créatifs est une absurdité totale. Et une fois de plus, c’est un passionné de High Tech qui vous le dit. Dans le domaine des arts, il faudra absolument limiter l’utilisation des solutions à base d’intelligence artificielle.
Ca y est @michellafon a pris position, et a décidé de mépriser toute une profession en faisant appel à l’IA pour la réalisation de ses couvertures de roman.
C’est honteux qu’une telle maison d’édition fasse des économies sur le dos des illustrateur⸱ices. #IA #NOIA #Midjourney pic.twitter.com/FJn1Ojk71X— Jérémie Fleury (@Trefle_Rouge) December 14, 2022
Un futur facilement prévisible
Les studios de productions dans le domaine de l’animation, du jeux vidéo et du clip et j’en passe vont tous tester l’ensemble les solutions disponibles. Puisqu’il ne faut pas oublier que l’important c’est d’expérimenter afin de trouver le tunnel de production le plus rentable. Et cela, quitte à bafouer des droits d’auteurs. Après tout, qui pourra les confronter et clamer être à l’origine des sources ? Ils feront comme tous les géants informatiques. Notamment ceux qui font d’abord et demande la permission (ou pas) ensuite. Qui se souvient de la démarche (et des contrats) de Google dans le cadre du « scannage » du patrimoine des bibliothèques à travers le monde ?
Cependant, gardez en tête une chose importante. Tout ce qu’une intelligence artificielle apprend elle ne l’oublie pas. Alors ne perdez pas votre temps à essayer de sortir vos travaux d’une quelconque base de données. Il y en a plus d’une partout dans le monde et nous ne pouvons rien contrôler. Les enjeux sont devenus trop grands et l’ambition affirmée est la même que d’habitude. C’est-à-dire générer un maximum de profits dans un minimum de temps. Pour rappel, toutes ces solutions bancales de production de contenus sont payantes.
Malgré toute cette démonstration, vous ne voyez pas le problème ?
Alors comme cela arrive souvent, malgré toutes mes explications certains resteront convaincus qu’il n’y a aucun problème. Dans ces conditions, je vais vous donner un exemple que n’importe qui est à même de comprendre. Imaginez qu’un jour un(e) collègue, un(e) voisin(e) ou encore un(e) photographe décide de vous prendre en photo légalement dans l’espace public. Cependant, il ou elle diffuse votre image sur les réseaux. Celle-ci termine dans une base de données d’Intelligence Artificielle. À partir de ce moment-là, on pourra coller votre image sur tout ce qui est possible d’être représenté, graphiquement parlant. Si vous n’y voyez toujours aucun problème, imaginez maintenant que votre image soit utilisée dans le secteur de la pornographie. Et que vous deveniez, malgré vous, une star de l’industrie du X, générant des milliers de vidéos vous mettant en scène dans des milliers de films.
Je reste persuadé qu’à ce moment précis vous allez comprendre la notion de consentement et de droit au retrait de ces bases de données. Parce que lorsqu’un « créateur » vous dira « mais ce n’est pas vous », vous allez être autant dérouté que les autres. Surtout quand il dira que c’est une personne fictive qui se base sur votre image, votre identité, votre allure, mais ce n’est absolument pas vous. L’intelligence a reproduit une personne avec vos données mais cela reste une création… Vous voyez maintenant comment soudainement tout cela devient problématique ? Parce que les fakes vidéos porno avec des stars de cinéma, cela existe depuis un moment. Mais avec les « deep fakes », on a atteint un autre niveau. Et je pense que l’image du voisin qui se fait du bien sur votre image, ça devrait normalement vous aider à comprendre l’une des problématiques de cette technologie.
Quelles solutions pour une saine cohabitation avec l’IA dans le domaine des Arts ?
Certaines industries créatives devraient bannir toute utilisation de logiciel à base d’intelligence artificielle pour une raison simple. L’importance de la sauvegarde d’un processus créatif entièrement piloté par des êtres humains. Dans la mesure où laisser une place trop importante à l’intelligence artificielle à la base d’un processus créatif est un non sens. Vous pensez vraiment qu’une IA peut valider un scénario pour un film comme Didier d’Alain Chabat ? Ou bien encore une série comme Lupin avec Omar Sy ? Si le bannissement de l’IA parait impensable, il faut absolument définir un pourcentage d’utilisation des IA dans le processus créatif. Et cela si, et uniquement si, l’application employée ne se base que sur des documents relatifs à l’entreprise qui l’utilise.
Et c’est dans ce type de cas de figure-là que je trouvais personnellement de l’intérêt dans L’IA. L’idée qu’une application vienne à partir de mes dessins, photos et textes me proposer des pistes auxquelles je n’aurais pas pensé était séduisante. Alors que le principe de créer des illustrations à partir d’une banque d’images libres de droits n’est pas forcément une solution idéale. Je suis plus tolérant et optimiste vers des solutions de conception assistée par ordinateur, comme dans le cas du Design Paramétrique. Puisque que l’on part de votre création pour la faire évoluer dans un champ plus complexe. J’admets ne pas avoir encore saisi toute la démarche qui vise à venir « fossoyer » des oeuvres et les mélanger pour en créer de nouvelles. Tout cela risque de créer une génération de créateurs qui, par confort, taperont des mots au lieu d’imaginer des univers.
En attendant, la réponse la plus structurée reste celle proposée par l’association des Concepts Artists. En ce qui concerne la France, j’espère qu’on ne subira pas cette lenteur administrative qui nous met toujours 20 ans de retard pour tout et n’importe quoi. Quand bien même la préoccupation première des artistes reste la lutte contre la précarité. Je ne peux m’empêcher de penser que cette technologie va entrainer une vague destructrice sur plus d’un niveau. C’est-à-dire tant sur le plan social qu’intellectuel, pour ne pas changer. Quant à la pauvreté, elle se développera de manière progressive comme c’est le cas depuis un moment dans le secteur des arts.
Conclusion
Comme vous avez pu le constater, je n’ai volontairement pas abordé certains secteurs de la création. Et cela pour une raison simple, le sujet est trop vaste. Traiter de l’intelligence artificielle dans les arts necessite du cas par cas. Pour autant, les auteurs de BD, d’illustrations jeunesse, les designers industriels, les architectes et même les stylistes de mode vont être lourdement touchés par la vague de l’IA.
En clair, les grands perdants seront toujours les mêmes : les professionnels des arts. Nous n’avons pas attendu les logiciels utilisant l’intelligence artificielle pour voir nos travaux spoliés sous toutes leurs formes. J’ai un dossier plein de différents cas de plagiats d’artistes. Et ils ne seront jamais dédommagés ou reconnus pour leurs talents. La récente affaire impliquant une photographe face à un peintre, nous démontre bien qu’avant l’outil il y a le créateur. Celui qui souhaite inventer, apporter quelque chose de nouveau avec son identité artistique. Et l’autre, celui qui tente de s’accaparer tout un travail en y mettant son nom comme une marque de fabrique.
Some guy really ripped off my photo, won a €1,500 prize, exhibited in a biennale supported by the Luxembourg government, then tried to mansplain copyright infringement to me. Where can I find a Luxembourgish speaker to help? Unbelievable. https://t.co/uYhAHYRa8Y pic.twitter.com/ZhqEFGm7d6
— Jingna Zhang (@zemotion) June 1, 2022
L’intelligence artificielle va permettre aux faussaires, aux « faux-tographes » et autres graphistes sans scrupules, d’aller plus loin et de préparer l’étape d’après. Je vous en parlerai dans un autre article, parce que là vous n’êtes pas encore prêts… Dans les mois à venir, la littérature qui va se développer sur les intelligences artificielles va vous donner le tournis. Si vous souhaitez comprendre comment tout cela va évoluer, je n’ai qu’un seul conseil à vous donner : intéressez-vous aux vidéos sur Youtube. Car les créateurs de contenus américains vont se réveiller bien avant les autres. Et pour cause, dans un pays où le dollar est roi, les créateurs ne vont pas laisser des sociétés les spolier sans réagir. So wait and see
Pour aller plus loin :
AI-created artwork wins first place at Colorado State Fair :pour lire l’article, cliquez-ici
L’application Lensa et l’hypersexualisation des femmes : pour lire l’article, cliquez-ici
Le recrutement est les enjeux de l’IA : pour lire l’article, cliquez-ici
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to sell image rights to artificial intelligence company : pour lire l’article, cliquez-ici
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